El niño de Hollywood (Salvador) par Jonathan Barkate

Óscar & Juan José Martínez, El Niño de Hollywood. Comment les USA et le Salvador ont créé le gang le plus dangereux du monde, traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis, Métailié, 2020, 333 p., 22 € [El Niño de Hollywood. Como Estados Unidos y El Salvador moldearon a un sicario de la Mara Salvatrucha 13, Debate, 2018]

Croisant les méthodes propres à leur profession respective, les frères Óscar et Juan José Martínez se sont livrés à une enquête journalistique et anthropologique pour présenter la naissance, l’organisation et le fonctionnement de la mafia salvadorienne en partant du cas de l’un de ses représentants les plus célèbres, Miguel Ángel Tobar, alias El Niño de Hollywood.

Cette passionnante enquête comporte trois parties, suivies d’un épilogue. Dans la première, le personnage central s’efface rapidement pour laisser la place à une présentation détaillée de l’histoire de la Mara Salvatrucha 13, entre Los Angeles et le Salvador. Dans la deuxième partie du livre, les auteurs retranscrivent les entretiens qu’ils ont eus avec El Niño quand celui-ci, repenti, renseignait la justice sur les agissements de ses anciens compagnons d’armes et témoignait contre eux. Dans la dernière partie, enfin, le sort funeste de celui qui a trahi la Bête est l’occasion de proposer une réflexion sur la trahison, notamment celle des autorités à l’égard des repentis qu’elles protègent si peu et qu’elles abandonnent à leur triste sort avant même d’avoir fini de les utiliser à leur avantage.

Le grand mérite de ce récit documentaire, servi par une écriture rigoureuse et par une construction littéraire, est de révéler par le menu la structure de la Mara Salvatrucha 13, les horreurs qu’elle a perpétrées et ce qu’elle doit à des décisions politiques ineptes tant aux États-Unis qu’au Salvador. Si l’on se perd quelquefois dans les méandres de l’organisation de la ms-13, il est très clair en revanche que son déploiement dans les deux pays doit autant à la décision hasardeuse du gouvernement américain d’expulser les membres du gang vers leur pays d’origine qu’à l’incurie de l’État salvadorien qui a facilité son organisation derrière les barreaux. De sorte que les expulsés, qui ont agi comme des recruteurs dans leur pays natal, ont fait parler les armes alors que la guerre civile venait de s’achever au Salvador, puis sont retournés essaimer en Californie et dans d’autres états américains.

En insistant sur le décalage absurde entre la violence extrême de la Mara Salvatrucha 13 et les raisons dérisoires qui ont entraîné une jeunesse désœuvrée amatrice de heavy metal et de hip-hop à créer un gang qui leur a échappé, les auteurs adoptent souvent le point de vue des anciens pandilleros qu’ils ont interrogés, non pour les excuser ou prendre leur parti mais pour expliquer de l’intérieur le fonctionnement de la Bête et ce qui l’alimente. Expliquer sans excuser, c’est la tâche que se sont assignée les frères Martínez pour présenter un tableau complexe de la réalité, sans exonérer les États de leurs responsabilités dans la constitution de l’un des gangs les plus sanguinaires du monde.

Jonathan Barkate