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Échos de la guerre d’Angola dans la littérature cubaine par Antoine Barral

Antoine Barral 3 ans ago 5 min read

La longue guerre d’Angola, celle des années 1960 aux années 1990 (car il y en eut d’autres avant), dans laquelle Cuba intervint à partir de 1975, a été le sujet de nombreuses œuvres littéraires d’auteurs angolais et portugais. Un des livres les plus marquants sur ce thème fut La Cul de Judas du portugais Antonio Lobo Antunes. Dans son grand roman Yaka, l’écrivain angolais Pepetela évoquait l’intervention cubaine. Ayant lu ces chefs-d’œuvre et quelques autres, j’ai longtemps eu la curiosité de compléter ces lectures et de trouver dans la littérature cubaine quelques échos de cette tragédie du point de vue des appelés que Castro envoya en Afrique, au nom de l’internationalisme communiste. C’est le cas dans le roman Boléro noir à Santa Clara, de Lorenzo Lunar, et dans le recueil de nouvelles Laura à La Havane, d’Ángel Santiésteban, tous deux parus en français aux éditions L’atinoir, respectivement en 2009 et 2012.

Boléro noir à Santa Clara est un bref roman policier, très noir, qui confine au realismo sucio [1], un peu à la manière de l’œuvre d’un autre fameux cubain, Pedro Juan Gutiérrez, auteur de la Trilogía sucia de la Habana. Toute l’intrigue se déroule dans le barrio, un quartier populaire et très pauvre de Santa Clara, ville natale de l’auteur au centre de Cuba. Son protagoniste et narrateur est Leo Martín, un policier natif du barrio, où il connaît tout le monde depuis l’enfance. Il est d’une génération qui a fait la guerre d’Angola. Plusieurs de ses amis et lui-même ont connu des destins divers après leur retour au pays. Dans le barrio, souvent évoqué comme une entité tentaculaire qui ne laisse aucun de ses enfants échapper à la misère ambiante, chacun essaye de survivre comme il peut. Magouilles, trafics, proxénétisme, toxicomanie et tentatives d’émigration vers la Floride sont le lot commun dans un Cuba qui a déchanté après l’effondrement de l’URSS, même si la rhétorique révolutionnaire reste de rigueur. Lorsqu’est assassiné le vieux Cundo, ivrogne et joueur de dominos que tout le quartier appréciait, Leo va devoir mener l’enquête, en louvoyant entre les exigences de résultats rapides de sa hiérarchie et ses vieilles amitiés, notamment pour un de ses anciens compagnons d’armes en Angola, à qui certains voudraient faire endosser le meurtre. Né en 1958, Lorenzo Lunar est un des maîtres du roman noir cubain actuel et plusieurs de ses livres sont traduits en français chez L’atinoir et Asphalte. Autre grande figure du polar cubain, Leonardo Padura a lui aussi été marqué par l’expérience de l’Angola (comme journaliste) qu’il évoque dans Ce qui désirait arriver, aux éditions Métailié.

Né en 1966, Ángel Santiesteban vit encore à Cuba. D’abord jeune auteur couronné du Prix Alejo Carpentier en 2001, il est devenu un dissident de l’intérieur à mesure que le pouvoir cubain tentait de restreindre sa liberté d’expression. Il a fait de la prison entre 2012 et 2015 et sa compagne, la journaliste Camila Acosta, a été arrêtée en juillet 2021. Laura à La Havane est son seul livre disponible en français. Un autre de ses livres Sueño de un día de verano, évoque aussi la guerre d’Angola vue du côté cubain, mais il est impossible de se le procurer en Europe. Notons que Karla Suárez, qui préface Laura à La Havane, a elle aussi publié un roman évoquant la guerre d’Angola, Le fils du héros, aux éditions Métailié. 

Dans Laura à La Havane, anthologie réunissant dix textes, il en est un qui se situe intégralement en Angola, « Les oubliés ». C’est le récit terrifiant, presque insoutenable, de la descente aux enfers d’un petit groupe de très jeunes soldats cubains perdus dans une région marécageuse qui semble n’avoir pas de limites. Déposés là par un hélicoptère qui pour de mystérieuses raisons n’est jamais venu les récupérer, ils perdent leurs chefs engloutis dans la boue, épuisent leurs munitions en chassant pour se nourrir, ne croisent jamais un seul ennemi. Il n’y a d’ailleurs aucun combat, mais ils vont peu à peu pourrir physiquement et moralement, sans aucun espoir. Un texte très fort sur ce que la guerre peut faire de jeunes hommes à peine sortis de l’adolescence. Dans « La rivière aux eaux tranquilles », un vétéran revenu d’Angola, malgré ses médailles militaires, ne trouve plus sa place dans la société et s’enfonce dans la marginalité et la délinquance. (Vétérans du Vietnam, d’Angola, d’Afghanistan, c’est finalement un sujet assez universel et intemporel, celui des générations sacrifiées, de la chair à canon qu’on glorifie et qu’on veut ensuite oublier).

« Les enfants dont personne n’a voulu », texte plus bref, raconte la dérive d’un groupe d’émigrants illégaux sur un radeau à destination de la Floride. L’un d’entre eux est un vétéran d’Angola. La souffrance, la peur, le sentiment d’abandon, les cadavres à la surface de l’eau et les requins seront leur lot. Les autres nouvelles du recueil ne sont pas moins noires, et nous plongent dans divers aspects de la déchéance cubaine des années 1990 : pauvreté, délinquance, prison, répression contre les homosexuels et les travestis, prostitution ou relations pour le moins ambiguës avec les touristes étrangers… La nouvelle éponyme, « Laura à La Havane », est à cheval entre réalisme et fantastique, avec Laura, cette étrangère qui vient aider des textes et des personnages à s’échapper de Cuba grâce à une clef USB qu’elle cache entre ses seins. Une déclaration de dissidence pour Ángel Santiesteban.

Sans doute mes recherches sur les échos des guerres d’Angola dans la littérature cubaine ne sont-elles pas suffisantes, sans doute d’autres auteurs et d’autres livres m’ont-ils échappé. Certains paraîtront peut-être encore à l’avenir. Seront-ils traduits en français ? Je suis encore sur la piste de quelques-uns, comme El Abismo por dentro, de Guillermo Fariñas, qui serait disponible en Espagne. L’enquête continue…

Antoine Barral 


[1] Réalisme sale 

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Tags: Antoine Barral Cuba Guerre Littérature Réflexion

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