Skip to content

  • Accueil
  • Dans ce numéro
  • Précédents numéros
  • Actualités
  • Podcast
  • Contact
  • À propos de nous
  • #07 La littérature chilienne
  • #08 Les autrices latino-américaines
  • Critique
  • Dans nos archives
  • Le dossier

L’Empreinte. Une archive d’artiste soustraite au terrorisme d’état de Marisa Cornejo

Madeleine Buet 2 ans ago 3 min read

Marisa Cornejo, L’Empreinte (une archive d’artiste soustraite au terrorisme d’État), traduit de l’espagnol (Chili) par Roland Junod, collection Pacific//Terrain, Genève 2022, 272 p. [La huella, Inédit en espagnol]

Dites « Chili » à un Français né après les années 70 : il est probable que les premières images qui s’invitent soient culinaires, avec un peu de piquant et d’exotisme mal placés dans ce vaste continent méconnu qu’est « l’Amérique latine ». Avec un peu d’orgueil et de par mon privilège d’enfant élevée dans une banlieue rouge, je croyais mieux savoir : une amie habitait rue Salvador Allende et je savais lire « A-li-èn-dé », nous avons chanté « ils ont tué le guitariste / lui ont coupé les doigts[1] » en colonie de vacances, je connaissais même l’existence d’un autre 11 septembre. Plus tard, j’ai eu des amis chiliens ; je ne leur ai pas posé de questions, ils ne m’ont pas raconté – mais qu’auraient-ils raconté ? Ils étaient encore enfants quand la dictature est tombée et les jeunes sont encore trop occupés à se détacher de leurs parents pour se pencher sur leur passé.

L’Empreinte a donc été un choc. Comme si, tout à coup, un voile se déchirait et que la connaissance abstraite, intellectuelle, que j’avais de ce pays prenait sens en s’incarnant dans le cheminement de Marisa Cornejo : cette « simple » autobiographie est devenue une source (d’informations, de questionnements, de révolte ?) d’une puissance que seule la micro-histoire permet. Au détour d’une vie, on est plongés dans un Chili bouillonnant d’utopies sociales et pédagogiques, porteur d’espoir pour les progressistes du monde entier, pulvérisé par la main armée des États-Unis. Dans l’horreur et la torture, dont on ne perçoit que les traces mais qui n’en ressortent que plus effrayantes. Dans l’Internationale communiste, dans l’exil, l’exil et encore l’exil. Le déclassement, le racisme, le désespoir. L’art comme seule langue possible et comme héritage.

Ce travail de mémoire a priori intime, à visée thérapeutique et testimoniale, acquiert un poids politique dès lors que l’autrice a conscience d’exprimer une blessure commune : « Beaucoup de mes frères et sœurs sont déjà passés par l’hôpital psychiatrique, sont morts prématurément d’un cancer, ont disparu dans différents pays (…) ou se sont suicidés. » Construit autour de la personne d’Eugenio, père mort trop tôt[2], il est la voix de ceux que l’on a voulu effacer, un exemplaire de ces milliers de vies éclatées. Au fil de la lecture, j’ai senti monter une révolte, plus forte encore parce que j’aime l’Histoire mais que je ne savais pas, et je n’ai pas compris comment certaines ambassades avaient pu rester debout pendant toutes ces années – l’objectif secondaire de Marisa Cornejo semble m’avoir atteinte : « donner à voir à l’Occident colonial ce qui lui appartient, c’est-à-dire les crimes qu’il a perpétrés dans d’autres régions du monde[3] ».

La construction de l’œuvre par évocations ou tableaux non chronologiques ne relève pourtant pas du réquisitoire mais du don : elle pose les faits et les expose, dans une écriture sans marques de jugement, afin de les offrir au lecteur dans un diaporama dont l’autrice emprunte la technique à son père, Eugenio. « Faire un diaporama, c’était, pour Eugenio, « avoir reçu, pour le transmettre à son tour, tout un ensemble de coutumes, […] partager ces choses devenues racines […] : signes d’appartenance sur lesquels se fonde son enracinement dans l’Histoire, sur lesquels se forge son identité, c’est-à-dire ce qui fait qu’il est à la fois lui et identique à l’autre[4] » ».

Madeleine Buet


[1] Extrait de « La Samba » de Bernard Lavilliers.

[2] Page 219, d’après le rapport FONIS de l’ONU : « les 28000 victimes de la prison et de la torture au Chili ont perdu en moyenne 17,6 années d’espérance de vie. »

[3] Page 24.

[4] Pages 231-232, l’autrice cite Georges Perec (1980).

A propos

Madeleine Buet

See author's posts

Tags: Art Autobiographie Chili Dictature Marisa Cornejo

Continue Reading

Previous: Un regard de sang de Lina Meruane
Next: Mundo Sepúlveda de Luis Sepúlveda y Daniel Mordzinski por José Salem

Des articles qui vont vous intéresser

Celles qu’on tue de Patrícia Melo 3 min read
  • #10 Le polar latino-américain
  • Critique
  • Le dossier

Celles qu’on tue de Patrícia Melo

Julie Werth 4 mois ago
Personne n’est obligé de me croire de Juan Pablo Villalobos 3 min read
  • #10 Le polar latino-américain
  • Critique
  • Le dossier

Personne n’est obligé de me croire de Juan Pablo Villalobos

Mónica Pinto 4 mois ago
El asesinato de Laura Olivo de Jorge Benavides 2 min read
  • #10 Le polar latino-américain
  • Critique
  • Le dossier

El asesinato de Laura Olivo de Jorge Benavides

Constance Dubus 4 mois ago
Le silence de la pluie de Luiz Alfredo García-Roza 3 min read
  • #10 Le polar latino-américain
  • Critique
  • Le dossier

Le silence de la pluie de Luiz Alfredo García-Roza

Oswaldo Carvalho 4 mois ago
Avril rouge de Santiago Roncagliolo 3 min read
  • #10 Le polar latino-américain
  • Critique
  • Le dossier

Avril rouge de Santiago Roncagliolo

Coralie Pressacco 4 mois ago
Todos mienten de Rafael Massa 3 min read
  • #10 Le polar latino-américain
  • Critique
  • Le dossier

Todos mienten de Rafael Massa

Antoine Barral 4 mois ago
  • Facebook
  • Instagram
  • E-mail
Copyright L'Autre Amérique © All rights reserved. | Kreeti by AF themes.
Les cookies nous permettent de personnaliser le contenu et les annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic.
Cookie settingsACCEPTER
Manage consent

Privacy Overview

This website uses cookies to improve your experience while you navigate through the website. Out of these, the cookies that are categorized as necessary are stored on your browser as they are essential for the working of basic functionalities of the website. We also use third-party cookies that help us analyze and understand how you use this website. These cookies will be stored in your browser only with your consent. You also have the option to opt-out of these cookies. But opting out of some of these cookies may affect your browsing experience.
Necessary
Toujours activé
Necessary cookies are absolutely essential for the website to function properly. This category only includes cookies that ensures basic functionalities and security features of the website. These cookies do not store any personal information.
Non-necessary
Any cookies that may not be particularly necessary for the website to function and is used specifically to collect user personal data via analytics, ads, other embedded contents are termed as non-necessary cookies. It is mandatory to procure user consent prior to running these cookies on your website.
Enregistrer & appliquer