La Cité de Dieu, Paulo Lins, traduit du portugais (Brésil) par Henri Raillard, Gallimard Folio, 2003, 571 p. [Cidade de Deus, Companhia das Letras, 1997]
Dans la cité de Dieu, favela tentaculaire de Rio de Janeiro, nous suivons le parcours chaotique de Dam, Le Piaf et Ze Rikiki depuis les années 60 jusqu’aux années 80, entre délits à la petite semaine et grand banditisme.
Ces enfants trop vite endurcis et ces adolescents trop tôt aguerris à la violence jouent à des jeux dangereux avec leurs copains et leurs rivaux. Les bidonvilles cariocas ne leur offrent guère d’horizons, hormis la samba, le football, la débrouille et la déglingue. Dans la cité de Dieu, les bouches à foin – ces lieux où l’on s’approvisionne en drogues – promettent les paradis artificiels et construisent des tombeaux.
Comme tant d’autres, Canard, Marteau, Z’Yeux verts et P’tite Orange s’adonnent à des parties de cache-cache dangereuses, parfois fatales, avec la police. Celle-ci prend les traits du crapuleux Notre-Tête-à-Tous, flic corrompu jusqu’à la moëlle et assoiffé de vengeance. On craint cependant moins les forces de l’ordre que Iemanja, déesse de la Mer qui emporte les marins.
Le récit, à l’image des existences, se veut cru et désenchanté. Les scènes, à la violence indicible, difficilement supportables, sont servies par une écriture fébrile et une narration chirurgicale. Main sur la bouche, les yeux se ferment parfois sous le poids de l’horreur. À d’autres moments du récit, il est vrai, le rythme effréné ralentit pour laisser place à des descriptions presque poétiques.
On se perd facilement dans les rues de la cité de Dieu. Le foisonnement de personnages, virevoltants parfois le temps d’un éclair (de balle), complique à l’occasion la lecture. On se laisse pourtant embarquer dans le feu du récit. On tourne la page, espérant la lumière au bout du tunnel. On souhaite connaître les soubresauts de toutes ces petites destinées. En un mot, on s’attache.
Le livre de Paulo Lins a été publié en 1997. L’écrivain a investigué pendant huit années sur le crime organisé et le trafic de drogue au sein de la favela, faisant de son roman une analyse quasiment sociologique. L’auteur, né en 1958, a lui-même vécu dans les entrailles de la cité de Dieu à partir de l’âge de sept ans. Le gouvernement brésilien avait alors décidé de déménager les bidonvilles du centre de Rio de Janeiro plus à l’ouest, pour les dissimuler aux yeux du monde. En 2000, près de 40 000 personnes vivaient encore sur les 120 hectares de la favela.
Pour l’anecdote, par suite des plaintes de quelques caïds, les noms des protagonistes ont été modifiés pour préserver leur anonymat. L’adaptation du roman au cinéma en 2002, avec le même titre, et l’excellente série intitulée « La cité des Hommes » qui s’attache à suivre Acerola et P’tite Orange, ont assis le succès de l’œuvre. Elle reste une référence en la matière.
Avec La Cité de Dieu, la boîte de Pandore des favelas a été ouverte. A l’abri des regards, dans un recoin obscur de la cité de Dieu, se cache, ensommeillé, l’espoir.
Constance Dubus