La Fille de Kafka de Giselda Leirner par Noemí Castellanos

La Fille de Kafka (Nouvelles), Giselda Leirner, traduit du portugais (Brésil) par Monique Le Moing, Joëlle Losfeld, 2005, 170 p. [A Filha de Kafka, contos, Ed. Massao Hono, 1999]

« Je suis ta fille. Que tu le veuilles ou non. D’ailleurs il ne s’agit pas de désir. Ni du tien ni du mien. Ce que j’ai choisi de faire est au-delà de moi-même. Je ne sais pas pourquoi je l’ai choisi, pourtant c’est comme ça. Tu es là. Présent en moi. Ta fille, M »

En quelques phrases, simples et courtes, le ton de La Fille de Kafka de Giselda Leirner, peintre et écrivaine paoliste, est donné. Un certain « K » s’adresse à une certaine « M », qu’il désigne comme « sa fille », pour lui faire part de ses déboires, de ses peines, de son impuissance face aux condamnations de la vie, mais surtout, paradoxalement, de sa volonté d’arrêter leurs échanges et, pire encore, de son refus d’être père. « M », sûre d’elle-même, réfute cette décision et tente de convaincre « K », et le lecteur par la même occasion, qu’il est, « qu’il le veuille ou non », le père qu’elle désire tant. Ce premier et dernier échange entre « K » et « M » laisse alors le lecteur perplexe. Qui sont K et M ? Sont-ils réellement père et fille ?

Autant d’interrogations qui poussent le lecteur à investiguer, cherchant des détails qui puissent le mettre sur la bonne piste. Pourtant, après cet échange, que l’on sait fictif puisque Franz Kafka n’a jamais eu d’enfant, nous nous sentons de nouveau décontenancés. Alors que nous pensions suivre le récit à la première personne d’une femme venue chercher son père sur la plage de Palamós, nous sommes brusquement transportés à l’époque de ses seize ans, au cœur de ses tourments d’adolescente. Puis, après ce bref aparté temporel, nous reprenons le fil d’une histoire encore inconnue : il y est question du cancer de Stachek, son beau-père. Le temps de la narration semble alors brouillé, troublé, entrecoupé. Alors que nous lisons un récit, somme toute logique, nous faisons soudainement face à un souvenir, à un détail troublant (les personnages sont tous de confession juive), à une information qui semble s’être égarée là, venue d’un autre monde.

Avec La Fille de Kafka, la talenteuse Giselda Leirner réussit à immerger le lecteur au cœur d’un monde aussi insensé qu’intriguant. Un monde au cadre spatio-temporel qui n’est pas sans rappeler l’univers labyrinthique et absurde propre à l’auteur de La Métamorphose. En choisissant d’osciller tout au long des dix récits entre le fantasmé, le réel et la fiction, elle nous offre un livre étonnant, intimiste et à la fois introspectif qui dresse le portrait de cette femme qui aurait pu – et voulu – être la fille de Kafka. Un livre qui n’est pas tout à fait un roman ni vraiment une nouvelle, mais plutôt un ensemble de visions frappantes sur la vie, la mort, la perte et la solitude. Un livre kafkaïen.

Noemí Castellanos