La mort et le météore de Joca Reiners Terron par Lara Bourdin

La mort et le météore, Joca Reiners Terron, traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec, Zulma, 2020, 192 p. [A morte e o meteoro, Todavia, 2019]

À quoi ressemble le début de la fin ? Cette question habite le septième roman de Joca (João) Reiners Terron, La mort et le météore, dystopie de teneur apocalyptique se déployant en terres Amérindiennes. Ou plutôt, en ce qui en tînt lieu autrefois : car au moment où commence ce récit qui se veut d’emblée un épilogue, la forêt amazonienne se réduit à « quelques hectares brûlants », les fleuves sont asséchés et le Chili est plongé sous le Pacifique. C’est dans ce contexte que les cinquante derniers hommes de l’ethnie (fictive) Kaajapukugi vont quitter ce qui reste de leur territoire amazonien pour demander l’asile au Mexique, pays recelant le dernier biome susceptible de subvenir à leurs besoins. Mais ce qui commence mal ne peut que finir mal, d’autant plus que ce ne sont pas les Kaajapukugi qui semblent tirer les ficelles mais un dénommé Boaventura, anthropologue autodidacte au passé pour le moins ténébreux.

D’une plume tout aussi acerbe qu’assurée, Joca Reiners Terron élabore le portrait macabre d’un monde au bord du précipice. C’est évidemment un monde que les lecteurs brésiliens pouvaient facilement entrevoir lorsque A morte e o meteoro est paru en portugais en 2019, à l’aube de la présidence de Jair Bolsonaro. Terron se prévalait alors de la capacité du roman dystopique de mettre en lumière les grandes mouvances sociopolitiques agissant sur le présent. Vente et abandon de la forêt aux mains des géants de l’agrobusiness, orpailleurs clandestins et trafiquants en tout genre ; suppression des délimitations des réserves autochtones ; démantèlement des institutions destinées à les protéger; incendies et érosion, sans parler des conflits régionaux… toutes ces forces sont explicitement nommées dans le roman pour expliquer le désastre qui accable les Kaajapukugi.

Mais si la fin est donc imminente et si ses causes sont multiples, l’origine du mal remonte à loin : il s’agit de l’entreprise coloniale aux Amériques, qualifiée de « psychose » dès la première phrase, mémorable, du livre. L’auteur ne mâche pas ses mots pour dénoncer l’activité missionnaire et l’action soi-disant « humanitaire », dont le legs mortifère s’assimile à un « effet domino répétitif, stupide et cruel, cautionné par un dieu toujours absent ».

On reconnaîtra d’ailleurs dans le récit outre-tombe de Boaventura le cadre narratif d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad (1902) : la remontée du fleuve comme descente aux enfers, pulsion de mort et fuite en avant, le cœur de la forêt vierge comme foyer de « l’horreur »… Mais le décalage vis-à-vis de la source intertextuelle est plus que géographique : si le procès mené par Conrad à la notion de « civilisation » ne laissait guère de place à l’humanité des Africains, Joca Reiners Terron reprend les clichés coloniaux pour mieux les détourner. Le résultat est un roman parfois franchement déjanté : il sera en effet question de mission vers Mars, de cryptogrammes à l’allure cunéiforme et, bien sûr, de météore. En dire plus serait dévoiler une trop grande part du mystère de ce livre fascinant et profondément dérangeant. À lire, donc !

Lara Bourdin