La Vorágine,José Eustasio Rivera, Editorial Verbum, Madrid, 2023 [Introuvable en français]
Ce livre, publié pour la première fois en 1924, attira l’attention d’Horacio Quiroga lui-même, et, cent ans après, il est toujours considéré comme une des œuvres essentielles de la littérature colombienne, mais également un prototype du roman de forêt. Le succès fut tel que La Vorágine a été adapté plusieurs fois pour le cinéma au Mexique (1949) ou la télévision en Colombie. A ce jour, plusieurs éditions en espagnol sont disponibles, par contre, il n’existe, semble-t-il, qu’une traduction française, datant de 1951 et aujourd’hui introuvable.
En 1922, alors qu’il est fonctionnaire, Rivera est chargé d’une mission de définition des frontières avec le Venezuela. C’est à cette occasion qu’il cumula les expériences qui nourriront son roman. Les tribulations d’un jeune couple en fuite forment le fil conducteur de l’histoire. Arturo, jeune poète, et Alicia, une jeune femme de bonne famille qu’il a séduite et enlevée, s’enfoncent dans des régions sauvages alors que leur relation se dégrade peu à peu.
La première région traversée est los llanos (les plaines), aux confins de la Colombie et du Venezuela, pays d’élevage bovin (les scènes de capture au lasso, de domptage, de fuite de troupeaux sont tout à fait impressionnantes), un « Far West » du sud où règne la loi du plus fort, sur fond de vols de bétail et de ruée vers le caoutchouc. C’est là qu’Arturo est amené à affronter le bandit Barrero, pourvoyeur de main d’œuvre bon marché pour les exploitations de caoutchouc. À la fin de la première partie, Barrero enlève Alicia : Arturo et quelques amis se lancent à leur poursuite, quittant la brousse pour la dense forêt du haut Orénoque. Mais un juge, corrompu par Barrero, fait d’eux des proscrits, tout autant que des poursuivants.
C’est à la forêt personnifiée que s’adresse une invocation lyrique et particulièrement angoissante au début de la seconde partie. Arturo et son groupe rencontrent une tribu indigène qui accepte de les mener en pirogue à travers la forêt. Ils doivent alors abandonner leurs chevaux. Ce n’est que le début d’un voyage sans retour, plein de péripéties parmi les Indiens et les ouvriers qui saignent les hévéas, dans un climat de violences et d’abus que rien ne semble pouvoir arrêter. Cette âpre dénonciation n’a pas manqué d’attirer des ennemis à l’auteur.
Au cours de ces pérégrinations, on croise de nombreux personnages dont chacun a une histoire qui élargit notre horizon à tel point qu’ils occultent parfois le sort d’Arturo et Alicia, prenant le relais dans la narration.
La nature est une protagoniste essentielle du roman. De la savane sèche des llanos à la forêt amazonienne avec la puissance des orages et des cours d’eau en crue, sans oublier l’immensité obscure des forêts. C’est là un des aspects qui ont valu son succès au roman.
La langue de Rivera est particulièrement plaisante : si les parties de récit sont écrites dans un espagnol châtié, désuet et presque précieux, les dialogues transcrivent un parler riche en dialectes des paysans et autres groupes sociaux marginaux, offrant un contraste saisissant et un véritable défi au traducteur !
Antoine Barral