Le Soleil sur ma tête, Geovani Martins, traduit du portugais (Brésil) par Mathieu Dosse, Gallimard, 2019, 144 p. [O sol na cabeça, Companhia das Letras, Sao Paolo, 2018]
En novembre 2022, la Fête littéraire internationale de Paraty – Flip, l’une des plus importantes du Brésil – a convié Geovani Martins à partager une table avec l’écrivaine française Annie Ernaux, élue Prix Nobel de littérature à peine quelques semaines auparavant. Cet événement témoigne de l’importance croissante de cet auteur, révélé en 2018 avec son recueil de nouvelles Le Soleil sur ma tête, paru chez Companhia das Letras.
Natif de Bangu, une banlieue de Rio de Janeiro éloignée de la mer, Martins a connu une vie ponctuée de déménagements, habitant tour à tour la Rocinha, l’une des plus grandes favelas du pays, et aujourd’hui le Vidigal, une autre favela offrant une vue imprenable sur les plages de la zone sud. Au fil de ses pérégrinations, il a découvert les différentes facettes de la pauvreté, ses langages et ses dangers.
Ces expériences nourrissent Le Soleil sur ma tête, qui explore les multiples formes de violence, physique et symbolique, subies par les habitants des favelas. Dans « P’tite virée », une bande d’adolescents tente de s’amuser à la plage sous l’œil vigilant de la police et le regard craintif des jeunes riches de la ville. Dans « Station Padre Miguel », cinq amis se retrouvent sous la menace des fusils des dealers.
La violence dans les favelas est un thème récurrent de la littérature brésilienne, au point de constituer un sous-genre à part entière. Pour se démarquer, Geovani Martins va plus loin. Ses personnages ne se contentent pas de survivre aux balles perdues, ils s’émeuvent aussi du sort d’un papillon tombé dans une casserole remplie d’huile, comme dans « Le papillon ».
La grande force de cet auteur réside dans sa capacité à transformer les dialectes des favelas en haute littérature. Ce langage est déjà connu dans tout le Brésil, moins par la littérature que par la télévision et le funk carioca, musique qui fait fureur à la radio ou en streaming depuis les années 1990. Avec une précision chirurgicale, Martins l’élève au rang de poésie, atteignant un sommet dans le récit « P’tite virée », suivi par l’étonnant « Spirale », où il démontre sa maîtrise du portugais soutenu sans jamais perdre sa fluidité.
Le traducteur Mathieu Dosse a réussi le défi d’adapter les inventions linguistiques de Martins à l’oralité française. Cependant, une traduction totalement fidèle à l’écriture dialectale de cet auteur est impossible : le mot caxanga, par exemple, perd sa connotation d’autodérision lorsqu’il est traduit par « baraque ».
Au XIVe siècle, Dante Alighieri a défié l’hégémonie du latin en écrivant La Divine Comédie dans le dialecte de sa Florence natale. Cette audace a influencé le cours de l’histoire de la littérature, faisant de l’italien la langue littéraire de l’Europe occidentale pendant plusieurs siècles. La démarche de Geovani Martins est tout aussi intrépide. Il ne se contente pas d’inclure les habitants des favelas dans le paysage littéraire brésilien, ce qui se fait déjà depuis plus d’un demi-siècle. Retranscrite avec grâce et acuité dans ses livres, la voix des favelas peut désormais contribuer à réinventer les structures de la langue portugaise.
Oswaldo Carvalho