O avesso da pele, de Jeferson Tenório, Companhia das Letras, 2020 [Inédit en français]
Le livre O avesso da pele (L’envers de la peau[1]), de Jeferson Tenório, a été l’un des livres les plus médiatisés ces dernières années au Brésil. D’abord, pour une bonne raison : il a gagné certains des plus prestigieux prix littéraires du pays, en particulier le Jabuti 2021 du meilleur roman (équivalent du Goncourt au Brésil). Ensuite, pour une raison, disons, moins directement littéraire : il a été la cible de censure dans les établissements scolaires de deux États brésiliens en raison de son langage cru et d’une (seule) scène de sexe. À partir de ce moment, le livre semble avoir gagné de nouvelles significations.
Sur le plan narratif, le livre adopte un ton proche du récit avec un certain sens de l’urgence. Ce choix apporte une dynamique vibrante au roman : en même temps que le personnage entame un dialogue intérieur avec son père décédé et se remémore des scènes de son passé, l’auteur reconstruit l’histoire de son protagoniste à partir de ses relations avec les autres personnages. Cette approche mémorielle n’est pas sans faire penser à des œuvres dans la veine d’Annie Ernaux ou Rachel Cusk, tout en s’enrichissant de la dénonciation d’une certaine situation sociale.
Le thème du racisme traverse tout le roman. Le préjugé de race ressemble à une hydre : dès qu’on lui coupe la tête, d’autres ressurgissent à la place. Le racisme s’immisce ainsi dans des scènes banales du quotidien depuis l’enfance jusqu’à la relation du protagoniste avec une femme blanche et la relation faussement amicale avec sa belle-famille, toujours prompte à plaisanter sur sa couleur de peau.
Ce qui donne son rythme au livre, c’est le fort sentiment d’urgence qui s’en dégage. Il frôle parfois la frénésie, avec ses longs paragraphes parfaitement adaptés à une personne ayant besoin de faire resurgir ses souvenirs et les violences vécues, jusqu’à la grande tragédie qui trouvera son climax dans une scène d’action policière. En ce sens, l’écriture de Tenório n’est pas sans sa parenté avec celle de Philip Roth, qui a su réimaginer sa vie et celle de son pays dans des œuvres comme Pastorale américaine ou Le complot contre l’Amérique.
Si le livre de Tenório s’attache à une narration liée à des questions plus intimes, surtout la relation du protagoniste avec son père, le roman est tout aussi bien un portrait social du Brésil et de l’une de ses plaies béantes, à savoir le racisme.
O avesso da pele est un livre sobre, composé d’après les récits et les souvenirs de son protagoniste, mais il comporte aussi des aspects kafkaïens, en particulier dans cette façon caractéristique de nous plonger dans un cauchemar apparemment sans fin. À chaque page, en effet, le tableau se noircit un peu plus. La polémique autour de son interdiction dans certains collèges du pays peut être un signal du pouvoir de la littérature à révéler certains travers de la société brésilienne, mais aussi cet « envers » du pays, qui semble être plus scandalisé par une scène de sexe que par les violences manifestes d’un racisme structurel.
Carlos Roberto Santos Araújo Filho
Traduction Guilherme Reed Rocha
[1] N.d.T