Animal, ombre obscure / Animal, sombra mía, Porfirio Salazar, bilingue espagnol-français, traduit de l’espagnol (Panama) par Marie-Christine Seguin, L’Harmattan, 2020, 128p.
Porfirio Salazar, l‘ombre de la poésie qui éclaire
Poète panaméen né en 1970 à Penonomé, avocat en droit pénal, Porfirio Salazar a donné des récitals en Espagne, aux États-Unis, au Mexique, à Porto Rico, en République Dominicaine, au Nicaragua, à Cuba, au Guatemala et au Panamá. Il a reçu lePrix National de Poésie Ricardo Miró (le plus important prix panaméen) en 1998 et 1999, et a gagné le Prix Centroaméricain Rogelio Sinán en 2008 avec le recueil de poésies Animal, sombra mía, traduit en français chez L’Harmattan en 2020 par Marie-Christine Seguin.
Bien qu’actuelle, la poésie de Porfirio Salazar rappelle la musique de la poésie classique – pensons avant tout à No reinarán las ruinas para siempre (1998), Cenizas en mi sueño, (2019), Soles en la luna del cantor (2018) et La cítara del sol (2008) –, car l’auteur se révèle un maître du sonnet et d’autres structures isométriques comme le dizain, la lyre et le romance. Le recueil Animal, ombre obscure / Animal, sombra mía propose une aventure qui nous permet de connaître l’identité complexe de l’être sous deux réalités : celle du poète et celle de la communauté. Les mots décrivent non seulement un individu depuis un agrégat de faits et d’émotions qui forgent une existence imprégnée d’historicité, mais aussi de sédiments culturels qui forment le poète. Ce dernier sait décrire des univers, celui du Panama, des Caraïbes et aussi l’essence qui a construit l’Antiquité classique et romaine.
Dans le poème « Cette douleur-là c’était la Caraïbe », le poète ne fait plus qu’un avec l’histoire d’une terre conquise et asservie par le colonisateur. Il y conte la souffrance et la recherche d’identité lorsque le pays est envahi par le pouvoir imposant ses codes culturels. C’est une défense contre la perte d’identité dans cette partie du monde appelée Amérique centrale. Si les Caraïbes sont un espace où le poète peut montrer ses rêves et ses espoirs, il ne peut éluder l’aspect plus obscur d’un espace de divertissement, de vente de corps et de vassalité. Les images et la beauté d’une langue personnelle qui enchantent renvoient à une autre déférence, celle de l’artiste attaché à la beauté du poème comme arme communicationnelle et artistique.
Animal, ombre obscure / Animal, sombra mía est un recueil unique dans la poésie centraméricaine actuelle. On y trouve, entre autres choses, des thématiques telles que la cruauté, le déracinement, la méfiance à l’égard des êtres humains incapables d’être solidaires de leurs frères. Le poète souligne l’échafaudage des mots qui définissent la solitude de l’être, le temps perdu, l’aveuglement existentiel d’un monde découragé par la paresse, par une complicité face au dénuement religieux et à l’idéologie d’une pensée unique qui ont détruit les rêves les plus honnêtes des êtres humains.
Il y a des poèmes comme « Schéma d’un territoire », « Théorie de la naissance » et « Fondation des ruines » dont la dynamique discursive vise à faire découvrir ce qui a façonné le poète, qui se bat pour la patrie, pour un espace personnel de développement et aussi pour un espace de vie humain face à la destruction de la vie.
Chaque recueil de Porfirio Salazar, poète aux registres variés, se révèle une expérience enrichissante pour le lecteur. Classique et Renaissance, panaméen et universel à la fois, le poète défend les valeurs universelles sans nier les siennes.
Marie-Christine Seguin