Terre Noire de Rita Carelli par Martine Mestreit

Terre noire, Rita Carelli, traduit du portugais (Brésil) par Marine Duval, Métailié, 2024, 237 p. [Terrapreta, Editora 34, 2021]

Terre noire est le premier roman de Rita Carelli, jeune autrice brésilienne. L’écriture est aussi luxuriante avec ses récits, ses mythes et ses images que la forêt amazonienne, où se déroule le roman. L’histoire débute lorsqu’Ana, âgée d’une dizaine d’années, emménage à Sao Paulo avec sa mère dans un environnement chaud et protecteur. Après la mort brutale de sa mère, Ana perd tous ses repères. « Les jours qui ont suivi ont été marqués par l’immatérialité de l’espace ». Son père, archéologue avec lequel elle n’avait presque pas de contact, lui propose alors de l’accompagner en Amazonie dans un village du Haut Xingu dont il étudie la « terre noire ». Ses fouilles mettent au jour des siècles de vie autochtone sur ces terres riches en sédiments multiples. Cette expérience va marquer à jamais Ana. Très bien construit, ce roman fait tout d’abord alterner de courts chapitres entre sa vie à Sao Paulo et le séjour dans le village amazonien.

Au cœur du roman, le lecteur découvre la vie dans cette communauté aux rites ancestraux dont Ana va partager d’emblée le quotidien. La curiosité de part et d’autre n’est pas absente, mais sans regard critique, exotique ou complaisant à l’encontre des autochtones. Son expérience ne passe pas par les mots mais par le corps. La jeune adolescente, en effet, vit un moment particulier. Elle va avoir ses premières règles, période où tous les sens sont exacerbés. Son corps en transformation est traversé par la douleur et l’éveil à la sexualité, faisant apparaître une complicité entre elle et le personnage de Kassuri, la fille du chef de la tribu. Comme le veut la tradition, pour toute jeune fille qui a ses premières règles, Kassuri est recluse et ne pourra sortir qu’au moment de la fête de Kuarup qui célèbre des funérailles et le passage à l’âge adulte. Même si Ana vit en totale liberté, une sorte de sororité liera les deux adolescentes.

On peut se demander si les rites auxquels Ana va assister, les récits mythologiques, les traditions, le rapport à la nature, ne lui permettent pas d’appréhender les moments importants et douloureux de sa propre vie. Ne l’ont-ils pas déjà aidée à intégrer la mort de sa mère ? De la même façon, le rapprochement avec son père, qu’elle connaissait à peine avant ce séjour, n’est évoqué que par une scène où elle remplace un jour son assistant, fouillant ensemble la même terre.

Dans la dernière partie, Ana a trente ans, elle étudie à Paris, où elle travaille sur les mythes amérindiens. L’alternance des chapitres se fait ici autour de sa vie parisienne, de sa décision de repartir dans le Xingu et de son retour dans le village. Retrouvailles avec son passé, avec la petite fille et ses amitiés d’alors, et prise de conscience d’un fil ininterrompu entre elle et cet autre monde. Sans compter le constat des ravages sur l’Amazonie et ses habitants liés à la surexploitation de cette terre meurtrie.

Martine Mestreit