
Province de Huamanga (Pérou), avril 2000. Un corps est retrouvé calciné. Félix Chacaltana, substitut du procureur dans la bien nommée Ayacucho (el rincón de los muertos, « le coin des morts », en quechua), est chargé de résoudre l’enquête. Cette ville, située sur le versant oriental de la Cordillère des Andes, est tristement célèbre pour avoir été le centre tragique de la guerre menée à partir de 1980 par Sentier Lumineux contre l’État péruvien, déclaré en état de siège durant deux décennies. C’est également le berceau de l’émancipation américaine, lieu où se déroulèrent les derniers affrontements entre royalistes et indépendantistes le 9 décembre 1824, marquant ainsi la fin de la domination espagnole sur le continent américain.
Abril rojo – récompensé par le prestigieux Premio Alfaguara en 2006 – est un thriller intense, qui fait froid dans le dos et tient le lecteur en haleine du début jusqu’à la fin. Santiago Roncagliolo (Lima, 1975) y déploie une grande efficacité narrative, qui repose notamment sur l’organisation séquentielle, la division en chroniques datées avec grande précision ou encore la multiplication des instances narratives – rapports officiels, voix anonymes inquiétantes – qui sème le doute dans l’esprit du lecteur.
La trame du récit se déroule dans une temporalité bien précise, à la fois historique – la campagne présidentielle d’avril 2000 qui s’achève sur la réélection d’Alberto Fujimori – et religieuse puisque les habitants d’Ayacucho, ville réputée au Pérou pour sa religiosité et ses nombreuses églises coloniales, s’apprêtent à célébrer les festivités de la Semaine Sainte.
Au fil des pages, l’enquête de Chacaltana se trouve semée d’embûches ; tandis que d’autres cadavres font leur apparition, le substitut du procureur – confronté aux réticences de la police et de l’armée – explore plusieurs pistes : un possible retour des sentiéristes dans la région ? Des crimes en série perpétrés par un catholique fanatique ? La recherche de l’assassin fait également ressurgir les mythes préhispaniques, plus particulièrement la légende d’Inkarri (ou Inca Rey), selon laquelle le dieu du monde andin est capturé et tué par les Espagnols, son corps démembré, ses restes parsemés aux quatre coins du Tahuantinsuyu (l’Empire inca) et sa tête enterrée à Cuzco, le nombril du monde.
Cinq ans après la création de la Commission de la vérité et de la réconciliation au Pérou (2001), Santiago Roncagliolo propose une œuvre remarquable sur les traumatismes engendrés par la guerre contre le terrorisme. Un roman à ne surtout pas manquer !

Avril rouge de Santiago Roncagliolo
Traduit de l’espagnol (Pérou) par Gabriel Iaculli
Editions Poche, 2009, 320 p. [Abril rojo, éditions Alfaguara, 2006]