
Deux idiots alcoolisés se prennent pour des caïds et soudain la casse de voitures dirigée par un mafieux se retrouve sens dessus dessous. Point de (faux) départ d’une intrigue qui débutera véritablement avec le vol d’un modèle rare de voiture : une Fiat 1600 sport 1970, remarquablement rouge.
Cette magnifique Fiat appartient à un universitaire en déshérence qui se fait dérober sa magnifique voiture, un tourne-disque vintage et peut-être même sa femme. Ce qui fait certes beaucoup en quelques heures seulement. Aussi l’homme mettra-t-il un point d’honneur à retrouver sa voiture, maigre consolation de son vide personnel, qu’il a entièrement reconstruite et « bichonnée » avec soin, de quoi, en somme, attirer l’attention d’un voyou qui avait vu là le cadeau idéal pour remercier celui qui l’avait aidé à sortir de la galère. L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Prenant conscience d’avoir provoqué une situation délicate pour celui à qui il est redevable, le voyou ne cessera de vouloir se rattraper en faisant pire que mieux. Alors que tout le système de la casse semble organisé pour fonctionner sans accroc, le vol de voiture, la détermination de la victime et le zèle inattendu d’un policier naïf vont devenir les grains de sable s’insérant dans la belle mécanique. Ces grains vont déclencher toute une série de quiproquos, de révélations des détestations profondes et anciennes. Tout le système se détraque pour une simple question de principe.
Ici, bien entendu, la casse est polysémique. La casse, ce lieu glauque et sale où échouent les épaves, les carcasses et les voitures volées – peut-être les âmes aussi. La casse d’un système qui repose sur une alliance entre voyous, mafieux, policiers et politiques. Alliance fragile construite sur une méfiance réciproque mais rééquilibrée par les étroits liens de l’argent facile et des intérêts mutuels. La casse aussi d’une société qui échoue, vouant les individus à la débrouille quotidienne pour leur propre survie. La casse des relations humaines entre frères, mais également l’échec d’un couple usé, miné par le silence, la jalousie et le doute. Enfin la casse des individus qui ne réchapperont pas au carnage qui se met en place tout au long du roman.
Bâti sur un rythme nerveux et solide, des chapitres courts au style sec et à la tension sans répit, Eugenia Almeida livre avec La casse un polar haletant. Tissant patiemment trois, quatre, cinq fils d’histoires, elle forme peu à peu faire une corde au nœud coulissant qui lie les âmes damnées entre elles. Un faux mouvement et le péril menace chacun, du simple voyou au politique cynique, et alors là, attention à la casse !

La casse de Eugenia Almeida
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Lise Belperron
Métailié, 2024, 206 p. [Desarmedero, Edhasa, 2022]