
La littérature policière au Chili a considérablement évolué, se consolidant comme un genre qui reflète les tensions sociales et politiques complexes du pays. Bien que son développement ait été tardif par rapport à d’autres traditions, au cours des dernières décennies, elle a acquis une importance significative tant au niveau national qu’international, offrant une perspective critique sur les structures de pouvoir et les réalités urbaines.
Les premières tentatives de développement d’une narration policière au Chili remontent à la fin du XIXe siècle, influencées par le roman de détective anglo-saxon. Cependant, ces premières approches étaient plutôt des adaptations de modèles étrangers, manquant d’une véritable exploration de la réalité locale. C’est au cours des années 1980 et 1990, dans un contexte marqué par la dictature militaire et la transition vers la démocratie, que le genre a connu un renouveau. La répression, la violence et les crises institutionnelles ont créé un terrain fertile pour un genre qui, par essence, aborde le désordre social, le crime et la quête de justice.
Durant cette période, Ramón Díaz Eterovic s’est imposé comme l’un des principaux représentants du genre avec son détective Heredia, un personnage emblématique qui parcourt les rues de Santiago, affrontant non seulement des affaires criminelles, mais aussi les injustices d’une société fragmentée. Les romans de Díaz Eterovic se distinguent par leur capacité à capturer l’atmosphère urbaine et à aborder des thèmes tels que la corruption et la marginalité, faisant écho à une réalité chilienne complexe et en transformation.
Un autre auteur qui a développé son œuvre durant ces années est Roberto Bolaño, qui occupe une place importante dans le genre, bien que son œuvre aille au-delà des conventions typiques du polar. À travers le mystère et la présence constante de l’inachevé, Bolaño a transformé la narration policière en un outil pour questionner la condition humaine et la société. Dans des romans comme 2666 et Les Détectives Sauvages, il aborde la violence structurelle et les zones d’ombre de l’âme humaine, explorant les limites du genre et redéfinissant ses possibilités. Son approche fragmentaire et son inclination pour l’énigme font de lui une figure clé pour comprendre l’évolution du polar chilien.
Au XXIe siècle, de nouveaux auteurs ont apporté diversité et fraîcheur au genre. Boris Quercia, avec sa trilogie mettant en scène Santiago Quiñones, offre un portrait brut de la vie urbaine ; tandis que Paula Ilabaca introduit une perspective féminine et aborde des thèmes liés au genre et à la violence. Carlos Tromben, quant à lui, combine le thriller avec des éléments historiques, démontrant la polyvalence du genre pour traiter divers sujets.
Aujourd’hui, le polar chilien a atteint une maturité qui en fait un outil puissant pour explorer les complexités sociales et politiques du pays. Le détective, souvent solitaire et désenchanté, ne se confronte pas seulement aux crimes, mais aussi à un environnement marqué par la corruption et l’injustice. Ainsi, le genre ne se contente pas de divertir, mais offre une critique profonde des dynamiques de pouvoir, agissant comme un miroir de la réalité chilienne.
Diego del Pozo
Attaché culturel de l’ambassade du Chili en France
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