
Au lecteur francophone qui se prépare à découvrir Rio de Janeiro, il est conseillé de glisser dans ses bagages, aux côtés de son guide de voyage, le roman Le silence de la pluie. En suivant l’intrigue captivante de ce premier tome de la série culte de romans policiers de Luiz Alfredo Garcia-Roza, le voyageur sera guidé par un interprète aguerri de la société carioca.
Dans ce roman, l’inspecteur Espinosa, protagoniste emblématique, enquête sur la mort mystérieuse d’un cadre influent d’une entreprise minière. Il nous mène dans les recoins divers et contrastés de la ville, d’un centre d’art dans le quartier charmant de Jardim Botânico à l’Instituto Médico Legal, sans oublier la vue spectaculaire sur la baie de Guanabara depuis le muret en pierre de la Marina da Glória. Certains lieux, comme le Scandinavia Night Club, relèvent de la fiction, tandis que d’autres, tel le restaurant Cedro do Líbano, ont disparu depuis la publication du livre en 1996.
Au fil de l’enquête, Espinosa recueille les témoignages de l’entourage de la victime, dont sa secrétaire, qui vit avec sa mère dans un appartement exigu de la Zone Nord, et sa femme, une architecte issue de la haute société. Ces personnages séduisent par leur authenticité, tandis que l’intrigue dévoile les inégalités sociales ancrées au Brésil.
À l’instar d’autres maîtres du polar contemporain, Garcia-Roza renverse la structure classique du genre, établie par Edgar Allan Poe. Le lecteur découvre ainsi les détails du crime dès la première scène, mais continue de tourner les pages jusqu’à la fin, frustré par l’incapacité d’Espinosa et de son équipe à voir l’évidence. Contestataire de la sécurité publique brésilienne, Garcia-Roza a donné vie à ce que le critique Adriano Schwartz appelle « le protagoniste possible et nécessaire pour une série de livres ancrés dans un commissariat de Rio au cours des vingt dernières années ».
Loin de se concentrer uniquement sur les affaires criminelles, Espinosa laisse souvent son esprit divaguer s’échappant vers une contemplation existentielle de l’océan. Il rêve même parfois de quitter la police pour ouvrir une librairie, irrésistiblement attiré par les échoppes de livres d’occasion près du commissariat. À travers les rêveries de l’inspecteur, le lecteur comprend que l’imaginaire et la création d’histoires sont au cœur du métier de l’écrivain, mais aussi de celui de détective. Un jour, après avoir relâché un suspect trouvé en possession de l’arme du crime, Espinosa s’aperçoit de son erreur et envoie son équipe à sa recherche : « Si ce type disparaît, on va être ridiculisés », prévient-il, redoutant la presse sensationnaliste de Rio. Sa nature contemplative, bien qu’incompatible avec l’efficacité policière, lui confère pourtant ce charme singulier qui a captivé des milliers de lecteurs à travers le monde, au fil des onze volumes de la série, inspirant deux adaptations audiovisuelles avant d’être interrompue en 2020, avec la disparition de son créateur.

Le silence de la pluie de Luiz Alfredo García-Roza
Traduit du Portugais (Brésil) par Eliane Machado
Actes Sud, 2004, 304 p. [O silêncio da chuva, Companhia das Letras, 1996]