
Ce court polar commence par la mort de jeunes gens dans un accident de la route. Fait divers vite oublié qui ressurgit avec le suicide de la seule survivante de l’accident, qui avait fait la surprenante promesse à un policier, Heriberto Gonzaga, de l’épouser s’il retrouvait les coupables. Après une rapide enquête, il repère les coupables, mais, ce faisant, se retrouve bientôt poursuivi par trois lascars qui souhaitent l’assassiner. Changement du rapport de force, Heriberto est à présent l’objet de la chasse.
À part l’accident lui-même, le danger est perceptible tout au long du roman, mais de façon diffuse : on n’en voit que les tragiques conséquences. Car il en passera du monde sur la table du médecin légiste Arturo Fernández, médecin légiste. Bien plus que les morts, les vies y sont décortiquées par ce placide médecin qui observe, dans les entrailles des morts, le monde encore vivant. Avec les qualités essentielles à la survie, que sont le détachement, l’humour et la poésie. Dans le silence de la morgue, il nous faut accepter notre ignorance.
Au milieu de l’intrigue, comme hors du temps, nous nous intéressons aux vies d’un chauffeur de taxi, de la grand-mère de Heriberto et de la si chère mère du médecin légiste. Ces portraits ont une portée particulière, comme si raconter toutes ces vies par le menu détail pouvait maintenir la mort à distance, ne pas la laisser gagner.
Comment évoquer la guerre quand les batailles sont déjà livrées et qu’il ne reste que les morts pour nous raconter la fureur, la détresse, le bruit et le chaos ? C’est le polar du « trop tard » et de l’inexorable. Avec la mort comme seule certitude sans cesse repoussée, la vie comme un mystère que le légiste cherche à élucider.
Polar astucieux et drôle, plus dense qu’il n’y paraît de prime abord, qui nous donne à lire tout ce qui n’est pas lié à l’intrigue policière. Plus complexe aussi par les nombreuses ellipses, impasses, et voies sans issue, les sans suite qui peuvent à l’occasion désarçonner le lecteur en attente de révélations ou d’indices.
Ce livre ne prétend pas proposer, comme trop souvent, de remède miracle au narcotrafic, à la corruption de la police, à la violence ou encore à la mort sans raison. Il nous propose une forme de poésie désenchantée. Car ni la poésie, ni la vie, ni la mort n’apportent de réponse.
Sans prétention, tout en ironie permanente, l’auteur équatorien Alfredo Noriega prend un malin plaisir à jouer et déjouer les codes du polar. Mais, peu importe, au fond, l’intrigue policière, il s’agit avant tout d’une réflexion drôle et enlevée sur la vie et ce qui restera de nous après notre disparition. Un dernier pied de nez face à la mort ; toujours plus forte que nous. La belle affaire !

Mourir, la belle affaire d’Alfredo Noriega
Traduit de l’espagnol (Équateur) par Nathalie Lalisse-Delcourt
Editions J’ai Lu. 2013, 224 p. [Tan sólo morir, Alfaguara, 2010]