
Todos mienten, c’est-à-dire « Tout le monde ment », est un roman noir sur fond de réminiscences de la dictature des années 1970 en Uruguay, de la guerre civile espagnole et de la dictature franquiste. On y respire une atmosphère oppressante, en parcourant les rues d’un Montevideo à la fois disparu et toujours présent, « de boliche en boliche », de bar en bar (dont la plupart existent encore), en compagnie d’un narrateur traqué qui cherche à comprendre pourquoi les « forces de l’ordre » lui sont, si visiblement, hostiles.
Le procédé par lequel le récit est lancé est assez classique : c’est le « manuscrit reçu », que José Bruzzone, l’un des protagonistes secondaires de l’affaire, reçoit bien des années plus tard. Il décide alors de le rendre public, tout en précisant que ses souvenirs diffèrent en partie de ce qui y est relaté. Nous sommes d’emblée prévenus : « Tout le monde ment ».
Une fois cette introduction achevée, nous entrons dans le texte attribué à Pedro, un journaliste de gauche, réduit à écrire des « piges » sous pseudonyme grâce à la bienveillance limitée d’un rédacteur en chef qui ne veut pas d’ennuis. Solitaire, divorcé, éloigné de ses enfants, il fume et boit trop, dort peu, écrit sur une Remington, et passe de longues soirées dans les bars où les murs ont des oreilles. Même sans être un militant très actif, il est forcément suspect aux yeux de la dictature en place depuis un an dans le pays.
Un jour, lui parvient une enveloppe qu’il ouvre avant de comprendre qu’elle ne lui est pas destinée. Une lettre arrivée d’Espagne, adressée à un certain Samuel, et signée par une femme, annonce au destinataire l’existence de sa fille âgée de dix ans, lui demandant de se manifester. Pedro va donc consulter son logeur, vieil espagnol et « gallego », c’est-à-dire tenancier d’un « boliche » où il a ses habitudes. Mais celui-ci prétend ne pas connaître Samuel et conseille à Pedro de ne plus s’intéresser à cette affaire.
C’est le début des gros ennuis dans lesquels Pedro va s’enfoncer, par idéalisme au début, parce qu’il n’a pas grand-chose à perdre. Une évasion, des règlements de comptes, un énorme butin qui intéresse autant les révolutionnaires que les militaires, une fuite vers Chuy, à la frontière du Brésil… Tous les ingrédients du film d’action et de suspense sont réunis.
La réussite du livre tient pour beaucoup à son atmosphère et à sa manière de nous entraîner dans Montevideo avec la conscience des changements que la ville a subis depuis quarante-cinq ans. Nul doute que Montevideo soit un décor qui se prête particulièrement bien au roman noir politique, autant que New York, Paris ou Buenos Aires. Rafael Massa reconnaît l’influence des grands maîtres américains du roman noir, mais aussi celle de Vasquez Montalbán, entre autres. Les influences cinématographiques sont également explicites, ainsi que l’hommage à Albert Camus, de L’Etranger à Révolte dans les Asturies.

Todos mienten de Rafael Massa
[Inédit en français]
Editorial HUM/ Estuario, Montevideo, 2017