
Co-auteur d’un reportage pour « O Globo » au Brésil sur la légalisation du cannabis, Geovani Martins confirme la pluralité de son talent et la puissance de sa plume en s’imposant comme une figure majeure du paysage artistique brésilien. Né à Bangu et résident de la Rocinha entre 2011 et 2014, à Rio de Janeiro, c’est lors de la Festa Literária de Paraty que son destin prend un nouveau tournant. Un éditeur de la maison d’édition Companhia das Letras repère ce jeune écrivain au parcours atypique, donnant lieu à une collaboration fructueuse qui le propulse sur la scène littéraire.
Aujourd’hui, il signe son second ouvrage, Via Ápia, finaliste du Jabuti 2023, équivalent brésilien du prix Goncourt. Ce parcours exceptionnel transcende les limites du déterminisme social et permet à la voix d’un habitant des favelas de résonner au-delà des frontières de son monde natal. Sa capacité à mêler réalité et fiction surprend : où s’arrête le vécu de l’auteur et où commence l’imaginaire ?
Ce nouveau récit s’inscrit dans la suite logique de son œuvre. Le fil conducteur reste inchangé : la favela. En retraçant l’arrivée des Unités de Police Pacificatrice dans la Rocinha en 2011, Geovani Martins adopte une structure narrative singulière, mêlant journal intime et chronique journalistique, chaque chapitre étant nommé par une date. Il dresse un portrait profondément humain de ces jeunes habitants, souvent réduits à des clichés dans les médias en raison de leur origine sociale.
Le lecteur plonge ainsi dans le quotidien de cinq jeunes adultes de Rocinha, au sein d’un univers réaliste où chaque détail sonne juste. L’effet d’immersion est tel que l’on se sent intégré à cette bande d’amis, comme si l’on partageait leur quotidien. Qu’il s’agisse de l’effervescence autour d’une fête ou de la tension d’une dispute, Geovani Martins parvient à transmettre ces émotions avec une intensité troublante. Il sait captiver son lecteur en alternant scènes banales et moments retentissants, avec un ton parfois ironique et critique.
Sans faux-semblant, il manie l’argot de manière inédite, quitte à soulever des interrogations lorsqu’il décrit l’organisation sociale de la favela. Toutefois, le risque de perdre son lecteur en ne traduisant pas les termes singuliers est pleinement assumé par l’auteur.
Au fil de deux années de documentation, il apparaît que les personnages ne sont qu’un prétexte pour aborder des thématiques profondes telles que le racisme, la violence, les inégalités sociales et les questions politiques. L’arrestation de Wesley, en raison de sa couleur de peau, ou la perquisition violente chez Biel, sont des scènes qui incitent à la réflexion.
Via Ápia est une œuvre capitale pour comprendre le Brésil et découvrir une nouvelle figure incontournable de la littérature de ce pays aux côtés de Carolina Maria de Jesus, Marcelino Freire et José Falero.
Une traduction de Mathieu Dosse, brillant traducteur du précédent ouvrage, sera prochainement publiée. Il relèvera le défi de traduire ce langage propre à la Rocinha, marqué par l’oralité, sans perdre un lectorat français néophyte.

Via Ápia de Geovani Martins
[Inédit en français]
Companhia das Letras, 2022