
20 ans que notre Bustrófedon, Bustró fait don, BustróPhaéton, BustrOrphéedon, aura fait vibrer la dernière corde. Le 21 février 2005 (en France nous ne l’apprendrons que le 23). En entendant la nouvelle à la radio, je me sentis, pour la première fois, profondément affecté par la mort d’un auteur. Aussi triste et aussi seul et aussi havanais que ses tigres, Silvestre, Eribó, Códac, Arsenio en quête de l’auteur évoquant sans cesse sa mémoire et courant derrière un souvenir, une présence, un parfum dans la nuit de la ville. Invadunt urbem somno vinoque sepultam (Virgile. L’Enéide 265).
Showtime ! Mesdames, messieurs. Ladies and gentlemen. Je vous souhaite à tous, mesdames et messieurs, une très bonne soirée.
Trois Tristes Tigres
[Edition Gallimard, L’Imaginaire, 1965. Trad. Albert Bensoussan]
Souffle nouveau, déstructuré, radical et complexe, le livre Trois Tristes Tigres a été une vraie claque littéraire, un vrai cloaque d’idées et de paronomases et de références cinématographiques et de jeux de mots. Tant est si bien que, en l’ayant lu pour la deuxième fois, à la dernière page lue je recommençais aussitôt sa lecture. (Logorrhée, logo, loco, loquace, l’occasion.) Peut-être pour croiser Bustrófedon une fois encore, revivre la mort de théâtre d’Arsénio, comprendre Ramon Mercader (avant l’Homme qui aimait les chiens de Padura) et me retrouver dans les bras chauds de la Estrella.
Aussi ce défi de traduction qui ne saurait être la copie transposée et exacte de la version originale, ce livre, plus qu’un autre peut-être, devient un autre livre1. Il est amusant de se dire qu’il existe autant de Trois Tristes Tigres différents qu’il y a eu de traductions. Car la traduction de ce palindrome incomplet si magnifique « Cerise d’été je te désire » n’a sans doute pas d’équivalent en espagnol, anglais ou allemand.
A l’instar de Donoso, Cabrera Infante est souvent (et j’ajouterai ici injustement) oublié de la liste du Boom en France. Une œuvre sous-estimée car ludique, appréciée comme une fantaisie, vue comme un amusement littéraire, trop touffue, trop dense, trop de « fraclats de rire », il est pourtant plus que temps de relire et réviser notre point de vue. Les auteurs ont un purgatoire, il est plus que temps d’en faire sortir notre auteur aujourd’hui. Redécouvrons ses livres.
Car, bien entendu, Cabrera Infante n’est pas l’auteur d’un livre. Outre cette somme exubérante des Trois Tristes Tigres, il nous faut citer Premières lumières du jour sur les tropiques, Orbis oscillantis (malheureusement très compliqué à trouver aujourd’hui) mais il faut surtout, surtout relire des livres comme Dans la paix comme dans la guerre, La Havane pour un Infante défunt ou Le miroir qui parle : nouvelles presque complètes.
Aussi pour saluer un Infante pas si défunt. Des feintes du défunt. Edifiante fiente des fins esprits (dixit victorhugo qui, esprit, n’est plus à prendre), apprendre sans rester sur notre fin. Faim. Levons notre verre de rhum des foins, le rhume des fins. Eternué, éternité.

Maurice Ravel,
Pavane pour une Infante défunte
1 A ce sujet, Albert Bensoussan évoque régulièrement cette collaboration et notamment dans un article fort intéressant et touchant disponible ici : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/07/25/traduction-cabrera-infante/