
A l’occasion de la publication de notre revue N°10 dédiée au Polar latino-américain, comment ne pas, pour notre première carte postale, faire un clin d’oeil à Mauricio Electorat et ses Petits cimetières sous la lune ?

Non loin du cimetière, à l’heure où les noctambules descendent de Montparnasse chahutant les travailleurs matinaux qui, eux, se remontent le boulevard Edgar-Quinet vers la gare et sa tour massive. Et le boulevard Raspail, quant à lui, flâne jusqu’aux délices encore endormies de Saint-Germain. Dans la petite rue Campagne-Première qui croise les boulevards, coincé entre 2 immeubles qui semblent jouer des coudes pour se partager un espace trop petit pour eux trois : l’hôtel Istria.
À côté de l’entrée, il y avait une plaque: « Ici vécurent Francis Picabia, Tristan Tzara, Man Ray, Rainer Maria Rilke, Vladimir Maïakovski, Louis Aragon et Elsa Triolet. Tout le monde avait vécu là. Et pour cause, c’était le Montparnasse des années 20. Sous la liste, un poème d’Aragon: « Ne s’éteint que ce qui brilla… / Lorsque tu descendais de l’hôtel Istria / Tout était différent rue Campagne Première I En mil neuf cent vingt-neuf, vers l’heure de midi… »
Je suis resté un moment figé sous la plaque, essayant de traduire. J’ai même décidé d’écrire sur un bout de papier. Ça donnait quelque chose du genre: « Se extingue solo lo que refulgia / cuando bajabas del hotel Istria / todo era diferente en La calle Campagne Première| En mil novecientos veintinueve, bacia mediodía… » Refulgia? C’est-à-dire resplendissait pour brilla? Mais comment faire rimer avec mediodía, midi en espagnol ? Bon, ce n’était pas non plus destiné à l’imprimerie, ce truc. J’ai poussé la porte.
Mauricio Electorat
Petits cimetières sous la lune


Dans cet hôtel se bousculèrent des artistes, des poètes, des écrivains, des muses, peut-être des boxeurs. Dans cette rue, s’effrondra le personnage de Belmondo dans le finale d’A bout de souffle de Godard (à quelques rues où grandit l’acteur), en face de l’immeuble froid et, peut-être un jour moderne, refuge bleu d’Yves Klein, un peu plus haut vers l’extraordinaire Rose de Java, librairie Kesselienne – s’il en est. Plus haut dans cette rue est né Atget, photographe, dans cette rue a logé Rimbaud. Dans cette rue passa un jour le Chilien Emilio des Petits cimetières sous la lune (Métailié, 2020) [Lire notre critique ici]
Bref progresser dans cette rue est un voyage extraordinaire dans une ville à travers les temps et les époques et les pays.
Autre livre, autre polar, même auteur, même lieu, même désespérance. Il suffit de traverser le boulevard. Côté Montparnasse, au coin des boulevards Raspail, à deux pas de la résidence où vécut le penseur Jean-Paul Sartre, et Edgar-Quinet, où repose pour l’éternité l’homme, le même Sartre (qui fut avec la Citroneta le titre d’un autre roman plus politique et ironiquement plus chilien d’Electorat – faut-il croire à une coïncidence ?), un hôtel simple, presque ordinaire, posé au-dessus d’un café-brasserie typiquement parisien, bâtiment aux lignes droites art déco d’un autre siècle. Ici se déroule – se déroulerait peut-être – une partie du 1er polar d’Electorat, Le paradis trois fois par jour (Série noire, Gallimard. 1995).
Nous avons descendu le boulevard Edgar-Quinet, traversé le boulevard Raspail et pris la rue Campagne-Première pour gagner Montparnasse. Un timide soleil hivernal répandait de pâles rayons sur les toits et les façades des immeubles. Les gens marchaient d’un pas pressé. exhalant de petits nuages de buée travers leurs cols remontés et leurs cache-nez.
Mauricio Electorat
Le paradis trois fois par jour







