2020, l’année de la littérature péruvienne écrite par des femmes ?

La littérature péruvienne est riche, multiple et foisonnante. Elle a vu naître de grands écrivains au fil de l’histoire et a atteint une réelle notoriété avec l’attribution du prix Nobel de littérature à Mario Vargas Llosa en 2010. 

Elle est ainsi souvent illustrée par des œuvres écrites par des hommes tels que César Vallejo, Julio Ramón Ribeyro, Alfredo Bryce Echenique, Fernando Ampuero, Alfredo Pita, Jorge Eduardo Benavides, Santiago Roncagliolo, Martín Mucha, pour n’en citer que quelques-uns. 

Néanmoins, nombreuses sont les écrivaines – qu’elles soient romancières, essayistes, nouvellistes ou poétesses – qui ont marqué l’histoire de la littérature péruvienne : Clorinda Matto de Turner (1852-1909), Mercedes Caballero de Carbonera (1845-1909), Teresa González de Fanning (1836-1918), Margarita Práxedes Muñoz (1862-1909), María Nieves y Bustamante (1861-1947) et Lastenia Larriva (1848-1924) d’abord, Blanca Varela (1926-2009), Laura Riesco (1940-), Pilar Dughi (1956-2006), Grecia Cáceres (1968-), Carmen Ollé (1947-) ou Patricia de Souza (1964-2019) ensuite et Jennifer Thorndike (1983-), Katya Adaui (1977-), Claudia Salazar Jiménez (1976-), María Elvira Núñez Muñoz (1965-), Claudia Ulloa Donoso (1979-), Kharla Aquije, Miluska Benavides (1986-) aujourd’hui, pour n’en citer que quelques-unes. 

Il ne s’agit pas ici de dresser un catalogue, mais de montrer que la voix de femmes est bien présente sur la scène littéraire péruvienne. De nombreuses anthologies à l’innitiative de femmes ont vu le jour, comme Basta, 100 mujeres contra la violencia de género (coordonnée par Cucha del Aguila) ; Voces para Lilith (coordonnée par Claudia Salazar Jiménez et Melissa Ghezzi en 2011) ; Como si no bastase ya ser (coordonnée par Nataly Villena en 2017). Pourtant la littérature féminine péruvienne est encore trop peu diffusée au niveau international et notamment en France.  

Lors d’une table ronde en ligne sur le rôle de la femme dans le monde littéraire, organisée en mars 2021 par Lima Lee[1], Jennifer Thorndike a souligné le fait que les préjugés sur les livres écrits par des femmes ont longtemps perduré, et que certains refusaient de les lire, considérant d’emblée qu’un texte écrit par une femme était mauvais. 

La situation évolue ces dernières décennies. De nombreuses écrivaines publient et osent aborder d’autres thèmes, écrire de la science-fiction, des récits d’horreur et de la littérature érotique, etc. On parle d’elles, on les commente, on les étudie. 

Même si le chemin est encore long vers la pleine notoriété, le monde littéraire leur a ouvert ses portes notamment les maisons d’édition indépendantes. La nouvelle génération est née grâce à elles et peut affirmer aujourd’hui : « nous sommes là, nous devons avoir une place dans l’histoire de la littérature[2] ». 

Comme l’affirme Claudia Salazar Jiménez, la liitérature latino-américaine contemporaine la plus intéressante est aujourd’hui écrite par des femmes[3]. Leurs voix sont entendues, notamment lors de la Foire internationale du livre de Lima. La première rencontre des écrivaines y a eu lieu en 2015. 

Ainsi, le prix national de littérature péruvienne 2020 a été attribué dans la catégorie des textes factuels à Victoria Guerrero (1971-) pour son ouvrage Y la muerte no tendrá dominio et dans la catégorie des romans à Teresa Ruiz Rosas (1956-) pour son livre Estación Delirio. Le prix Casa de la Literatura Peruana a été attribué à la poétesse Rosella di Paolo (1960-) et la municipalité de Huancayo a décerné le prix Héroïne Toledo 2020 à l’écrivaine Isabelle Córdova (1950-). La célèbre revue britannique Granta a sélectionné Miluska Benavides (1986-) comme l’une des meilleures écrivaines de langue espagnole de moins de trente-cinq ans. 

Les femmes écrivent et publient aussi sous sur différentes plateformes, sur des blogs et sur les réseaux sociaux. Le dernier exemple en date est l’initiative Un muro propio : 36 poetas peruanas, inaugurée pour célébrer la journée internationale de la femme. La fondation BIK (Believe In Kindness) et les librairies La Rebelde et Book Vivant présentent, à Magdalena del Mar, une exposition gratuite sur les murs extérieurs de l’hôpital Larco Herrera à partir du 8 mars 2021 qui durera six mois. Cette exposition de poèmes a pour objectif de visibiliser le travail, la voix et les écrits de poétesses péruviennes reconnues qui ont marqué l’histoire du pays. C’est une manière de solder l’énorme dette que celui-ci a envers les créatrices pour les avoir invisibilisées. 

© Nelly André DR

Il s’agit de créer un espace de culture et de réflexion qui souligne l’importance de faire connaître et reconnaître toutes les femmes péruviennes qui, durant des décennies, nous ont inspirés par leurs écrits. Il est grand temps de cartographier ces écrits et de rendre à ces artistes leurs lettres de noblesse. Ce mur présente une ligne du temps. 

« Il est extrêmement important de visibiliser la parole écrite de nos poétesses péruviennes, de transformer une avenue que l’on traverse tels des automates en un espace de réflexion, de culture et de beauté, où le spectateur se fond dans les murs. Il y reconnaît un espace d’expression, de liberté et de plaisir qui activent ses sens et lui permet de connaître les pensées de nos femmes au fil des ans[4]» affirme Sonia Cunliffe, l’administratrice culturelle du projet. En voici deux exemples : 

© Maruja Valcárcel. Photo Nelly André DR

Maruja Valcárcel  

« Comment se fait-il qu’on finisse toujours par devenir l’aiguille des minutes de l’horloge de la maison d’en face »

© Mariela Dreyfus. Photo Nelly André DR

Mariela Dreyfus 

Bénédiction 

Bénies soient les filles 

qui portent du rouge et du mascara 

boivent du vin avec de hauts fonctionnaires et le soir 

– miroirs et pénombre –  

écartent les jambes avec décence, 

comme quand ça fait mal. 

(…) 

Je serai toujours celle qui espionne 

et se divise pour mieux se regarder, jusqu’à trouver 

l’obscure physiologie des choses, 

l’animal qui discrètement rampe dans mes veines.

Il reste encore beaucoup de choses à faire, de défis à relever, car ce qui est acquis n’est pas forcément définitif. Il est donc crucial, comme le souligne Jennifer Thorndike[5], de parler des écrivaines, de créer un réseau. Le bouche à oreille est une arme puissante pour acquérir de la notoriété et visibiliser les nouvelles générations.

C’est ce que cette revue et tous ses contributeurs se proposent de faire ! Alors, bonne lecture et parlez-en autour de vous…

Nelly André 


[1] « Conversatorio: El rol de la mujer en el mundo literario ». 

#ENVIVO En el marco del #DíaInternacionalDeLaMujer, nos acompañan las escritoras Claudia Salazar Jiménez y Jennifer Thorndike para hablarnos sobre el rol de la mujer en el mundo literario. 

[2] Propos de Jennifer Thorndike lors de la table ronde sur « Le rôle de la femme dans le monde littéraire », op.cit.

[3] Propos de Claudia Salazar Jiménez, op.cit.

[4] « Un muro propio : poemas de 36 poetas peruanas », Lima en escena, 4 de marzo de 2021 :  https://limaenescena.pe/un-muro-propio-poemas-de-35-autoras-peruanas/

[5] « Un muro propio : poemas de 36 poetas peruanas », Lima en escena, 4 de marzo de 2021 :  https://limaenescena.pe/un-muro-propio-poemas-de-35-autoras-peruanas/

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