Poussière dans le vent de Leonardo Padura par Julie Werth

Poussière dans le vent, Leonardo Padura, éditions Métailié, 2021, traduction de l’espagnol (Cuba) par René Solis, 631 p. [Como polvo en el viento, Tusquets editores, 2020]

Leonardo Padura nous entraîne dans une fresque familiale foisonnante, des années 1970 à nos jours. Comme dans nombre de ses romans précédents, plusieurs strates temporelles et géographiques se répondent et se complètent, pour éclairer l’histoire des personnages et celle de l’île. 

Il s’agit d’un roman des origines, dont le sens est décliné superbement tout au long de chapitres enchevêtrés et recomposés par le souffle de la mémoire sur deux générations.

Quête identitaire depuis Miami qui prend des allures d’enquête policière dans les chapitres consacrés à Adela et à ses recherches autour d’un secret familial, en particulier sur les raisons du départ précipité de sa mère Loreta de Cuba pour les États-Unis. Roman de l’attachement et de l’arrachement à la terre cubaine par l’exil forcé ou choisi à travers les aléas sentimentaux et politiques de la famille élargie de Clara à Cuba, de son « clan » constitué de son mari, de ses deux fils et de son cercle d’amis. La maison familiale de Clara constitue symboliquement la pierre angulaire, le refuge de cette amitié indéfectible qui dépasse les différences de milieux sociaux, les choix politiques, la décision de partir ou de rester. 

Comme dans Le Palmier et l’étoile[1], l’amitié est mise à rude épreuve par les dissensions, les trahisons ou l’exil mais elle apparaît ici comme une forme d’amour inconditionnel à laquelle seule la mort peut mettre fin, une des allusions possibles du titre du roman. 

Reflet de la génération de l’auteur, le clan est disséminé et déstructuré par des disparitions, volontaires ou tragiques, et par l’exil de plusieurs de ses membres, notamment pendant l’euphémistique « période spéciale ». Clara, voit ses amis puis ses enfants partir les uns après les autres pour le meilleur et parfois pour le pire. L’exil permet à Darío de se réinventer (ou de s’oublier) mais transforme Fabio et sa femme en fantômes : « Nous sommes et en même temps nous ne sommes pas, et avant qu’on soit autre chose que des spectres, ça prendra un paquet d’années. (…) Ici nous ne sommes pas ce que nous étions là-bas. »

L’exil permet à certains d’échapper à la folie, à la prison, au déclassement social, à l’étouffement moral, aux privations économiques, à la surveillance du régime, à la peur des dénonciations, qui broient l’individu comme dans 1984, le roman d’Orwell que certains personnages lisent et font circuler sous le manteau.

L’auteur entremêle habilement secrets intimes et secrets d’État, il fait entrer en résonnance à différentes époques les problématiques de la mémoire et du lien indéfectible au pays d’origine à travers des personnages complexes et profonds. Dans cet hymne à l’amitié, cette ode aux racines culturelles communes des Cubains dans et hors de l’île, Padura, écrivain qui vit et écrit à Cuba, se fait le témoin de sa génération et des suivantes. Il rend hommage à leur capacité de résilience, sans jamais juger ceux qui ont choisi de rester ou de partir.

Julie Werth


[1] Titre français des éditions Métailié donné au roman de Leonardo Padura intitulé en espagnol La novela de mi vida