Un père étranger d’Eduardo Berti par Jonathan Barkate

Eduardo Berti, Un Père étranger, traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Lu, La Contre Allée, 2021, 431 p., 23 € [Un padre extranjero, Impedimenta, 2016]

Pour faire entrer le lecteur dans les coulisses du roman qu’il écrit, Eduardo Berti a donné son nom et une partie de sa biographie au narrateur de son récit. Lancé sur les traces de Joseph Conrad, à qui il veut consacrer un livre, le Berti de l’intrigue raconte les impasses sur lesquelles il bute et les révélations que lui fait son père. Ce père étranger, qui a bien des points communs avec le grand écrivain anglais d’origine polonaise, a notamment écrit un roman, que son fils entreprend de lire en parallèle du livre qu’il écrit sur Conrad. Intitulé La Dérroute, le roman inédit du père s’immisce dans le texte en construction du fils, ce qui contribue à multiplier les voix et les possibles narratifs.

Un Père étranger déroute le lecteur, à la fois parce que le récit dévie chaque fois qu’il change de voie, mais aussi parce que les tours et les détours qu’il opère étonnent, surprennent. Le roman joue en effet beaucoup sur les faux départs, les fausses routes et les culs-de-sac – quand la visite de la maison de Conrad est constamment remise, quand le narrateur songe à plusieurs fins alternatives pour achever son roman ou quand celui-ci lui paraît impossible à écrire. Véritable dédale, le livre est plein de carrefours, d’embranchements et de croisements dont le parcours est parfaitement balisé, si bien qu’on ne se perd jamais dans l’alternance de récits tantôt enchâssés tantôt mêlés, celui du fils comme celui du père, les citations de Conrad comme celles du livre de cuisine publié par son épouse Jessie, les notes que le fils prend sur son père comme le brouillon du roman qu’il prépare.

Composé de romans ratés, Un Père étranger est un roman réussi qui propose, au gré des découvertes et des pérégrinations du narrateur, de passionnantes réflexions sur l’ « étrangèreté », sur le rapport à la langue maternelle (ou paternelle) et sur la traduction. À défaut de donner à lire ou de réécrire le roman de son père – parce que ce n’est pas son but –, Berti écrit un roman du père, c’est-à-dire qu’il rend hommage à ce père en faisant de lui un personnage et une figure d’écrivain, double fantasmé de Conrad.

Conduit par ce travail sur les traces de son passé familial, l’écrivain de chair et d’os en a rapporté un roman en miroir au titre tout trouvé – Un Fils étranger –, qui paraîtra bientôt et que la revue L’autre Amérique se fera un plaisir de découvrir.

Jonathan Barkate


L’invité du jour : Eduardo Berti (Juin 2021)

L’écrivain argentin Eduardo Berti s’est entretenu avec Jonathan Barkate et Camille Dupont pour parler de son dernier roman traduit en français Un père étranger. La rencontre s’est déroulée autour de la question de la langue.