Guillermo Arriaga, L’Escadron Guillotine, Phébus, 2004 [Escuadrón Guillotina, Planeta, 1991]
L’Escadron Guillotine, ou la quête alchimique de l’homme
Quelle agréable surprise que ma rencontre avec l’œuvre littéraire de Guillermo Arriaga et particulièrement avec son roman : L’Escadron Guillotine. La magie de ce roman d’Arriaga consiste à donner à voir, dans un récit fluide et savoureux basé sur une simple anecdote, la révolution mexicaine de 1910. J’aime imaginer Arriaga en jeune lecteur qui dévore avec plaisir et le rire aux lèvres un roman satirique de la révolution mexicaine de Mariano Azuela ou bien un livre antihistorique de Jorge Ibargüengoitia ou bien encore un autre de Carlos Monsivais. Même si ce ne sont là que des conjectures, L’Escadron Guillotine m’évoque ce style caustique de quelques récits très jouissifs tels que Las Moscas, Les Conspirateurs ou encore Nouveau catéchisme pour indiens insoumis. D’autre part, amatrice du XIXème siècle littéraire mexicain et de ses récits, le personnage principal du roman m’évoque aussi ceux des romans de Manuel Altamirano ou de Manuel Payno.
Parlons maintenant de cette œuvre au titre doublement évocateur : L’Escadron Guillotine. Utiliser les mots escadron et guillotine, littéralement et métaphoriquement, a un effet doublement frappant. Les révolutions française et mexicaine, leurs causes perdues, leurs excès barbares et criminels, leurs bizarreries loufoques sont conjugués à la sanguinaire invention du docteur Antoine Louis qui sera déployée par Joseph Ignace Guillotin lors de la Révolution française. Mais pour moi le plus remarquable est d’avoir introduit dans l’univers narratif populaire et violent qui est celui de la révolution mexicaine, un protagoniste qui justement représente le contraire de cet univers : un scientifique aristocrate et avocat de formation qui est à l’image du XIXème siècle. À lui seul, il incarne l’essor et le génie scientifique de cette époque et ses fabulations ubuesques. Cet homme de science, avocat et nanti n’est autre que Feliciano Velasco y Borbolla de la Fuente.
Arrêtons-nous quelques instants sur lui, car quand un antihéros est bien construit, il est toujours la garantie d’un succès. Feliciano paraît répondre à ce genre de personnages littéraires et cinématographiques difficilement classables. L’homme est un intellectuel de petite taille, laid, chauve et chétif : sa figure est aux antipodes de celle du héros traditionnel. Son allure insignifiante contraste fortement avec celle de l’autre protagoniste du roman, un grand gaillard, jeune et fort, une légende vivante, un guerrier stratège et charmeur de femmes qui n’est autre que le grand révolutionnaire Francisco Villa.
Feliciano Velasco, avec son grand génie et sa formation européanisée, réussit à créer une guillotine presque parfaite qu’il essaie de vendre à Pancho Villa. Dans un enchaînement d’événements improbables, il se retrouve recruté de force dans l’escadron du chef révolutionnaire qui se sert de « la veuve rouge » pour semer la terreur parmi ses ennemis, les bigots qui soutiennent les riches et l’ancien régime de Porfirio Diaz. Justement Feliciano, qui appartient aussi à cette classe conservatrice aisée habituée à regarder les pauvres de haut, a visiblement tous les atouts pour sembler antipathique au lecteur, surtout dans ce contexte révolutionnaire et populaire.
Au fil des chapitres, Feliciano se révèle pourtant romantique, sensible, poète et idéaliste ; ses traits de caractère le rendent unique et attachant. L’alchimie du style bien particulier d’Arriaga se trouve aussi dans la création de personnages qui déploient une sensibilité et qui les rend complexes et instables mais universels. En allant même plus loin, nous pouvons trouver des allures quichottesques au personnage de Feliciano, ce qui le rend encore plus touchant et plus captivant : c’est un antihéros anachronique qui se bat pour des idéaux perdus, qui mène des combats aboutissant à des fins défavorables et qui idéalise une femme chimérique qui n’existe que dans son esprit. Il ne peut échapper à son destin.
Je souhaite mettre en valeur dans ces quelques lignes le talent de Guillermo Arriaga, qui sait si bien exploiter les forces et les faiblesses de la condition humaine, les relations entre le rêve et la réalité, entre la vie et la mort et les différents destins possibles de l’homme.