Ce n’est pas un fleuve de Selva Almada par Camille Dupont

Selva Almada, Ce n’est pas un fleuve, traduit d’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba, Métailié, 128 p. [No es un río, Penguin Random House, 2021]

Après de longues heures, trois hommes viennent à bout d’une raie géante, majestueuse, de celles qui peuplent les grands fleuves de la région subtropicale d’Entre Rios, au Nord de l’Argentine. L’atmosphère est lourde, le soleil tape fort mais sa généreuse lumière ne parvient pas à percer l’opacité de l’eau. Les trois hommes campent sur une île dont les habitants ne tardent pas à découvrir avec méfiance l’impressionnante prise, achevée par trois coups de feu. 

Il n’y a pas que l’eau qui est trouble, le passé l’est tout autant et ressurgit sans cesse dans ce roman à l’odeur de vase, d’été, d’herbes et de fleurs. On suit ces trois hommes, dont on sait que le père de l’un est mort noyé. Les rêves étranges et prémonitoires des uns, la subjectivité décalée des autres, les flashbacks narratifs plus ou moins lointains et des interventions probablement magiques ne font qu’accroître l’ambiance énigmatique de la lecture. Cependant l’importance et l’authenticité des liens amicaux des personnages principaux et la pesanteur d’un quotidien accablant viennent contrebalancer la torpeur et le mystère latents. 

Dans un style direct, à la syntaxe parfois saccadée, et grâce à une narration qui joue sur la temporalité, Selva Almeda nous embarque dans les confins de l’Entre Rios. Elle dresse un portrait à la fois poétique et abrupt de sa région natale et dépeint une vaste galerie de personnages, s’attachant particulièrement à leur psychologie. Jeunes, vieux, insulaires ou non, pauvres ou issus de la classe moyenne, fonctionnaires, tenanciers de buvette, femmes au foyer ou chamanes : tous sont profondément marqués par une nature environnante sans pareille. 

Camille Dupont

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