Negra de Wendy Guerra par Mónica Pinto

Wendy Guerra, Negra, traduit de l’espagnol (Cuba) par Marianne Millon, Stock, 2014, 320 p. [Negra, Anagrama, 2013]

Il est surprenant qu’en plein XXIe siècle, il soit interdit de lire dans son pays d’origine, Cuba, l’œuvre d’une grande autrice traduite en dix-huit langues. C’est le cas de Wendy Guerra (La Havane, 1970), fille de la poétesse Albis Torres et du dramaturge Raúl Guerra.

Wendy Guerra est une écrivaine pleine de ressources dont la prose poétique enchante le lecteur. Dans son quatrième roman, Negra, elle raconte l’histoire de Nirvana del Risco, surnommée Nina ou Negra. Nirvana del Risco a un esprit ouvert et polémique. Elle s’exprime sur la politique, la peur, le chemin du sacré et de l’interdit. Baignée de syncrétisme afro-cubain et de pratiques magiques et religieuses, elle nous confie des recettes pour obtenir ce que l’on souhaite. 

Nina est en couple avec Jorge et Lu à la fois. Pour cette raison, elle se définit comme lusexuelle plutôt que bisexuelle. Nina habite chez sa mère et sa grand-mère dans un Cuba réprimé, raciste, où certains trottoirs sont pour les blancs et d’autres pour les noirs. Le fait d’être dévisagée si attentivement à cause de la teinte foncée de sa peau la renvoie au statut d’objet.

Nirvana del Risco, comme beaucoup d’autres Cubains, n’aspire qu’à quitter un pays qui ne lui offre aucune garantie. Elle veut échapper à l’oracle du culte africain parce qu’elle souhaite être la seule à définir son destin. 

Nina part en France pour gérer les affaires de sa mère. Cette dernière était liée à une femme qui au moment de mourir a laissé un héritage à Nina. Le voyage de Nina est rempli de rencontres sexuelles que Wendy Guerra décrit avec une grande sensibilité. L’érotisme et la sexualité de Nina avec ses amants masculins et féminins créent des pages incandescentes, qui sont le moteur du livre. 

Negra est un roman ambitieux et dérangeant. Ce livre nous entraîne dans un tourbillon de musique, de saveurs, d’odeurs et il révèle l’impuissance face aux injustices de ce socialisme tropical. Wendy Guerra nous clame à cor et à cris que « azúcar es Cuba ».

Mónica Pinto

Traduction L’autre Amérique