Vidalina de William Navarrete par Luis Samaniego

William Navarrete, Vidalina, traduit de l’espagnol (Cuba) par Marianne Millon, éditions Emmanuelle Collas, 2019, 406 p.  [Deja que se muera España, Tusquets, 352 p.]

Me di cuenta que la historia de mi país

más o menos ha sido siempre la misma[1]

William Navarrete

Vidalina n’est pas exactement un récit cubain comme les autres dans lequel les habitants de l’île chercheraient par tous les moyens à quitter le pays.

Elba, personnage situé à l’époque contemporaine, entreprend une recherche généalogique afin de démontrer ses origines espagnoles et ainsi obtenir un passeport européen, le supposé sésame de la liberté. Le fait d’entrecroiser l’histoire de la famille d’Elba sur plusieurs générations et celle de Cuba depuis la période coloniale jusqu’au XXIe siècle, nous donne l’impression de parcourir cette route vers l’exil, malheureusement très commune à Cuba. 

Par ailleurs, le roman aborde la relation complexe de Cuba à l’Espagne, et le titre original en espagnol est plus explicite (Deja que se muera España[2]). En effet, la création d’une identité cubaine et l’indépendance du pays ont mis longtemps à s’imposer. William Navarrete, à travers l’histoire d’une famille, dont Vidalina représente la pierre angulaire, nous montre la subtile construction de l’altérité en opposition avec le dominant et plus tard le chemin ironique inverse, à travers l’empressement des Cubains à se faire naturaliser Espagnols. 

À plusieurs occasions l’écrivain cubain décrit les détails des mets que consomment ses personnages. Ces plats et leurs ingrédients sont des motifs de souvenirs et de digressions. Les Espagnols qui sont partis dans les colonies pour tenter leur chance ou en s’enrôlant dans l’armée ont emmené avec eux les goûts culinaires de leur région. Cette nostalgie si précise cache en réalité une astuce de l’auteur pour présenter les questionnements des Espagnols à propos de l’évident affaiblissement de leur pays au XIXe siècle, autrement dit, fallait-il sauver l’Espagne ou plutôt « la laisser crever » ?

À certains moments, l’éclatement du récit dû à la multitude de personnages, rend parfois ardue la lecture du roman. En revanche, il faut souligner les propos très pertinents de Navarrete sur l’Histoire, sa construction et le rôle que les femmes y ont joué. Le recul historique dans Vidalina nous permet également de mettre en perspective la Révolution de 1959. En ce temps où la recherche d’identités foisonne et inquiète, ce livre offre matière à réflexion en étant un antidote contre le manichéisme. 

Luis Samaniego


[1] Je me suis rendu compte que l’histoire de mon pays a toujours été plus ou moins la même. Propos de l’auteur lors de la présentation de Vidalinadans « Carrusel de las Artes », RFI, 30 avril 2019. 

[2] Laisse crever l’Espagne