Wallau de G.A. Chaves par Gustavo Solórzano-Alfaro

Version en espagnol

« Wallau : au nom du père »

G.A. Chaves était aux États-Unis lorsqu’il apprit que son père venait de mourir. Incapable de voyager, il ne put assister aux funérailles. C’est là que l’élégie commence et que naît Wallau. La mort du père marque le début du livre.

Wallau est un village allemand et un personnage de La Septième Croix d’Anne Seghers. Le nom du père disparu est la présence qui traverse Wallau, recueil de trente-sept poèmes en trois parties de l’écrivain costaricain Chaves ; un voyage aux origines, un hommage et une révélation formelle. 

« I. Petricolor », l’odeur de la terre après la pluie, cette odeur caractéristique de la nostalgie : « Ahí donde nunca hay nombres / Que alguien silbe el rumor de lo invisible[1] » (p. 16). Huit poèmes, aux formes et aux tons variés, évoquent le souvenir et la réflexion au présent, de la tendresse de « Calle Joaquina, Getsemaní » à l’ironie de « Égloga lisérgica ». Dans le premier on peut lire : « Una pareja de adolescentes / Espera el bus sin esperarlo / Porque el lugar al que quieren ir / Es el lugar donde ya están sus manos[2] » (p. 15). L’églogue, peut-être le texte le moins réussi du recueil, offre aussi l’un des meilleurs vers : « Dios es una palabra que está mal traducida[3] » (p. 26).

« II. Wallau : una elegía » s’inscrit dans la tradition des « Coplas a la muerte de su padre », de Jorge Manrique et du puissant « Luz rabiosa » du Chilien Rafael Rubio. La référence en anglais apparaît dans le texte lui-même, paraphrasant Dylan Thomas : 

 « Do not go gentle… / Wallau, Padre: Do not go gentle…»  (p. 33).

Le poète se souvient de son père. L’album familial est nourri de vieilles photos de frères et tantes, de jours de pêche et de parties d’échecs : « El tueste de la piel del pescado que almorzábamos / Era siempre del mismo ámbar que el de las cervezas[4] » (p. 31). D’une maison au sol de terre battue en 1929, le voyage vers l’origine conduit au Portugal, à la découverte de sa « juiverie secrète ». Le souvenir du père est la découverte du moi : là où l’un meurt, l’autre naît : « Después de las lluvias de octubre / han vuelto las lombrices buscando el sol. // Ellas que te han visto, Wallau, / ¿sabrán quién soy yo?[5] » (p. 39).

Cette section présente des découvertes formelles importantes et combine avec une efficacité inhabituelle le vers libre et le verset : « Celeste el cielo, blanco el mundo, amarillo intenso el sol que lo recorre. Nunca noviembre brilló tanto. Tan poca paz escondida entre tanto duelo[6] » (p. 46). Les vers sont nourris d’un rythme précis et d’une musique subtile. 

Chaves a élaboré son œuvre littéraire avec minutie. Écrivain reconnu dans divers genres, il a fait ses débuts en poésie avec Vida ajena (2010), l’un des meilleurs livres costaricains de ces dernières années, qui n’a malheureusement pas été apprécié à sa juste valeur. Cette vie étrangère a désormais toute sa place dans l’œuvre. 

Si dans la deuxième partie de Wallau la voix du narrateur fuyait son nom et cherchait en même temps son identité, dans la troisième partie, les noms du père et du fils se confondent : « Pues ya ves, Yahvé, que cuando digo ‘soy’ sólo intento ser Tú en mi traje de Nunca[7] » (p. 81). Le voyage terminé, le cycle clos, Wallau remplace la Vida ajena parce qu’il le contient, tout comme le fils contient le père. Avec Wallau, nous avons la possibilité de faire amende honorable et d’assister à un petit miracle. Après le duel, le poème commence. 

Gustavo Solórzano-Alfaro 

Traduction L’autre Amérique 


[1] « Là où il n’y a jamais de noms / Puisse quelqu’un siffler la rumeur de l’invisible »

[2] « Un couple d’adolescents / Attend le bus sans l’attendre / Parce que l’endroit où ils veulent aller / Est le lieu où leurs mains se trouvent déjà »

[3] « Dieu est un mot mal traduit »

[4] « La peau grillée du poisson que nous mangions / Était toujours ambrée comme les bières »

[5] « Après les pluies d’octobre / Les vers de terre sont revenus à la recherche du soleil. // Ceux qui t’ont vu, Wallau, / Sauront-il qui je suis ? »

[6] « Bleu celeste le ciel, blanc le monde, jaune intense le soleil qui le parcourt. Novembre n’a jamais tant brillé. Si peu de paix tapie parmi tant de deuil »

[7]  « Car vois-tu Yahvé, que quand je dis “je suis”, je tente juste d’être Toi dans mon habit de Jamais »


Un regard sur le récit costaricien contemporain par Gustavo Solórzano-Alfaro