Basura de Anahí Flores (coord.) par Roberto Montaña

Basura, Anahí Flores (coord.), Ediciones Desde La Gente, 2021, Argentina [Inédit en français]

Des déchets humains 

On pourrait dire que le terme déchet désigne tout ce qui a perdu son utilité à nos yeux. Une bouteille vide, un plat fêlé, un meuble cassé, de vieux papiers, les restes d’un repas, tout l’univers de rebuts que nos sociétés produisent quotidiennement à une échelle inimaginable. Pourtant, cette définition pragmatique est partielle et biaisée parce qu’elle fait allusion uniquement à un changement de fonction d’un objet (un verre n’est plus un verre si nous ne pouvons pas l’utiliser pour boire ; la peau d’un fruit, quand elle ne sert plus à le couvrir) et surtout parce qu’elle met de côté quelque chose de bien plus important : les déchets, ce sont les restes de ce qui a perdu sa raison d’être, son sens. 

Plusieurs récits de ce recueil de nouvelles peuvent se lire sous cet angle. Il peut s’agir d’une femme séparée qui fait face à l’absence de ses enfants, d’un couple qui doit déménager à contrecœur, d’une jeune fille qui tente de nouvelles expériences, d’une petite fille qui cherche sa propre voix : ils sont tous accablés par la rupture avec un ordre préétabli, par le vide qui transforme leur quotidien en faisant de leur réalité un tas de déchets qu’ils doivent prendre en charge, alors qu’ils ne savent pas comment. Il existe aussi un autre type de déchet, celui où les souvenirs et la culpabilité sont mêlés, où la quête d’ordre et de propreté peut devenir un affrontement générationnel ou une dystopie gentiment désuète. 

Il y a un trait commun dans ces œuvres d’auteurs argentins contemporains compilées par Anahí Flores : il n’existe pas un sac poubelle assez grand pour tous les rêves brisés, pour tant de solitude et tant de désillusions. La variété des sujets et la manière de les aborder nous fournissent un chœur de voix narratives. Elles expriment les nuances d’un problème que la littérature évoque à peine ou traite sous forme de dénonciation. Ces récits, peut-être sans que cela soit voulu, nous aident à réfléchir à notre production de déchets et à la manière dont nous nous en accommodons. Leur grand mérite est de dévoiler, sans lourdeur didactique, de quelle manière la grande quantité de déchets produite peut refléter des sociétés malades de consumérisme, mais aussi des vies déboussolées et qui doivent déambuler avec leurs misères sur le dos en cherchant un endroit pour s’en débarrasser. 

Roberto Montaña

Traduction L’autre Amérique