Des oiseaux pleins la bouche de Samantha Schweblin (Arg) par Sofia Linares

Des oiseaux plein la boucheSamanta Schweblin, traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, Seuil, Paris, 2013 [Pájaros en la boca y otros cuentos, Almadía Ediciones, Ciudad de México, 2021]

« Je jette un coup d’œil autour de moi et me rends compte qu’il m’a laissé sur la place. La place de tout à l’heure. Au milieu, près de la fontaine, plusieurs chiens se lèvent un à un et m’observent.[1] » 

Vous êtes-vous déjà préparé à prendre une douche agréable dont l’eau chaude devient soudainement froide ? Ce changement de température si abrupt ne nous laisse pas le temps de réagir, ni même de penser convenablement, donc on continue à se doucher de telle manière que l’on finit par trouver un certain confort sous l’eau froide. On ne sait pas pourquoi, mais soudain on se sent très bien. 

Il en va ainsi du livre de Samanta Schweblin. Le lecteur se demande s’il a bien compris ce que l’autrice a voulu dire, s’il y a bien une nouvelle qui parle de cela. Si nous avons envie de poursuivre une fois que nous avons commencé, c’est pour découvrir ce qu’elle va inventer dans l’histoire suivante. En effet l’écriture de Samanta Schweblin est très fluide, dans une langue très argentine et très visuelle, de telle sorte que nous pouvons facilement imaginer tout ce qui est décrit dans chaque nouvelle.

Peut-être pourrais-je parler de choc, de surprise, de violence ou de sensations bizarres ressenties à la lecture de chacune des nouvelles de ce livre. Mais cela serait simpliste. Je peux assurer que chaque récit va produire en nous des sensations et des pensées peu communes et inoubliables. En fait, c’est comme si tout était conçu pour cela, pour que nous n’oubliions pas ces histoires, non pour leur contenu, mais pour ce qu’elles provoquent en nous. 

Ces nouvelles, au style narratif direct et réaliste, décrivent des situations aussi vraisemblables qu’insolites, des histoires aussi quotidiennes qu’étranges. Qui peut imaginer d’avance que certains titres de nouvelles tels que « Des oiseaux plein la bouche » ou « Des têtes contre l’asphalte » parlent littéralement de cela. Mais je ne souhaite pas en parler davantage de crainte d’atténuer la surprise et le suspense… C’est un livre qui donne envie d’en discuter, qui ne passe pas inaperçu, que l’on garde en mémoire. Évidemment sa lecture peut sembler difficile par moments parce que sa bizarrerie ou son réalisme marquent très profondément les esprits. Blesser des susceptibilités, traverser des sensibilités, mettre le doigt sur la plaie, voilà tout ce que l’autrice parvient à faire.

Ces vingt-deux nouvelles démontrent une excellente maîtrise du suspense, comme si chacune était un des wagons d’une montagne russe. Je ne saurais vous dire si cette lecture vous sera désagréable ou si elle vous plaira. Néanmoins je peux affirmer que c’est un livre profond, cruel, réaliste, étrangement divertissant que je vous recommande avec enthousiasme.

Sofía Linares Trainman 


[1] Samanta Schweblin, Des oiseaux plein la bouche, p. 46