Entretien avec le poète hondurien José Antonio Funes par Marie Christine Seguin

Cher José Antonio, me voilà invitée et tu ne peux savoir ma joie, à m’entretenir avec toi en français, que tu as appris à la suite de toutes ces années passées entre Paris, Angers et le sud de la France, pour le public français qui ne te connaît peut-être pas en tant que poète. Tes poèmes qu’on présente aujourd’hui vont permettre de découvrir quel poète tu es, et ils sont réunis dans une anthologie Balance previo. C’est une anthologie de 2022 qui correspond à 3 périodes et 3 recueils. Si on devait les caractériser brièvement le premier Modo de ser 1989 rappelle des souvenirs de l’enfance, le second A quien corresponda 1995 parle d’amour dans la relation à l’autre et le troisième Agua del tiempo 1999 se penche sur la question de l’exil dans un paysage ravagé par la pluie.

A l’attention de la Revue L’Autre Amérique

José Antonio Funes

Né en 1963 au Honduras à La Lima, Valle de Sula. Poète, professeur universitaire, chercheur promoteur de la culture, éditeur et gestionnaire de projets culturels au Honduras et à l’étranger.

Au mois de novembre 2021, le Prix National des Lettres du Honduras a été décerné au poète José Antonio Funes, docteur en littérature de l’Université de Salamanque. José Antonio est, depuis 2020, conseiller et collaborateur d’Escribir Bien y Claro. Ce prix, l’un des plus importants dans ce pays d’Amérique centrale, récompense la carrière du poète qui a également été directeur de la Bibliothèque nationale, vice-ministre de la culture du Honduras et a développé au cours de la dernière décennie une précieuse diplomatie en tant que délégué du Honduras auprès de l’UNESCO.

Que veux-tu transmettre dans tes poèmes ?

JAF. Ma poésie est très visuelle et elle tend plus à l’évocation, mais en plus des images j’aime transmettre des sensations et des impressions. J’aime le langage simple, labourer la surface pour découvrir la beauté de la profondeur. Je suis d’avis que si un poème n’émeut pas, s’il ne touche pas la fibre de l’humain, c’est un poème raté.

Quelle est l’histoire de tes poèmes, comment ont-ils été publiés ? Comment as-tu choisi les poèmes de l’anthologie Balance previo ?

JAF. J’ai commencé à écrire de la poésie au milieu des années 1980, dans un contexte sociopolitique assez difficile. Le Honduras était un pays occupé militairement et la campagne contre-révolutionnaire du gouvernement de Ronald Reagan a utilisé le Honduras comme plateforme militaire dans la région de l’Amérique centrale. Il y a donc eu beaucoup de répressions politiques et de violations de droits de l’Homme. L’environnement culturel était également irrespirable tout était soupçonné d’être de droite ou de gauche et il y avait un risque des deux côtés. J’étais conscient de ce que devrait être ma position politique, mais je ne voulais pas traîner ma poésie dans la facilité du pamphlet, alors j’ai fait un effort majeur pour sauver ma vie et sauver mes poèmes. D’où mon premier livre Modo de ser (1989). Les poèmes de mes autres livres ont été publiés à une époque très différente : A quien corresponda (1995) et Agua del tiempo (1999).Ce dernier recueil rassemble mes expériences en Espagne et mes voyages en Europe. On y trouve une poésie plus oxygénée, plus pleine du monde, même si les thèmes liés à l’expérience quotidienne, au déracinement et à l’amour persistent. Dans Balance previo, il y a aussi des poèmes qui n’ont pas été publiés dans les livres précédents, bien que certains soient parus dans des anthologies en différentes langues.

Veux-tu impacter le monde actuel, rendre compte de la dystopie de la réalité (depuis la pandémie) dans ta façon de penser et d’écrire des poèmes ?

JAF. Je ne suis pas aussi prétentieux pour souhaiter avoir un impact sur le monde d’aujourd’hui avec ma poésie. Je crois que lorsque l’humanité regarde dans l’abîme d’une pandémie ou d’une guerre, et découvre sa vulnérabilité, elle devrait avoir comme option la transcendance et la recherche de la paix et de l’harmonie que contiennent la poésie et l’art en général. S’il y a quelqu’un qui, pendant son confinement, a décidé de lire un de mes poèmes, j’espère que cela lui aura servi à quelque chose pour endurer la solitude ou l’ennui.

Comment qualifierais-tu la poésie, en général ? Est-ce un risque, une revendication, un centre, un repère ?

 JAF. La poésie est tout cela et plus encore. Écrire de la poésie est une belle tâche qui cherche à transformer le langage pour accéder aux clés qui nous permettent de découvrir la beauté que ce soit dans la simplicité ou dans ce qui est terrible de la vie. Ce travail comporte un risque car lorsque le mot n’est pas dignifié, il est maltraité. La poésie est une justification contre la vulgarité, le vain et l’éphémère ; c’est le centre qui rassemble le transcendant, l’humain et le trop humain ; c’est un point de référence car elle défend la dignité de la parole dans un monde de plus en plus fragmenté, inondé d’images grotesques et surtout d’informations fausses et indésirables. Mais la poésie est aussi le salut parce que la poésie est un espace de liberté.

Selon toi, est-il possible que la poésie soit engagée dans un combat autre que littéraire ?

JAF. Je crois que le premier engagement du poète est de bien écrire sur le sujet qu’il juge approprié, chaque expression de beauté contribue à la grandeur de l’être humain. C’est ensuite aux lecteurs de décider quoi faire du poème.

Si l’on prend la position du poète face à la solitude « typique » du métier de poète, où-tu situerais-tu ?

 JAF. La solitude est impérative au moment de la création, de même pour écrire contre la solitude.  Au-delà de ce fait, le poète est un citoyen comme les autres qui a besoin de participer à la société, que ce soit dans des projets individuels ou collectifs. Je suis poète et citoyen.

Tu vois la poésie comme un fragment dans ta vie ou plutôt comme faisant partie d’une totalité dans ta vie ?

JAF. Je ne peux pas séparer la poésie de ma vie. Tout ce à quoi je rêve, ce que j’imagine, ce que j’entends, ce que je vois et ce que je touche peut devenir de la poésie.

Comment et pourquoi un enseignant finit-il par devenir écrivain ?

JAF. Je pense que j’ai d’abord été poète avant d’être enseignant. L’amour de la littérature m’a amené à m’intéresser à son enseignement.

Où cherches-tu et trouves-tu l’inspiration ? De quoi ou de qui t’es-tu inspiré pour créer tes poèmes ?

JAF. J’écris à partir des matériaux de ma propre vie. Ma source d’inspiration est ce que je vis et ce que j’ai vécu. L’imagination n’est qu’une ressource pour sauver le mot de sa pauvre condition utilitaire et l’élever au plan esthétique et sémantique.

Quels sont tes poètes/ écrivains préférés/ ées ?

JAF. C’est drôle, mais depuis que je suis adolescent, je me suis lassé des « poètes nationaux » et j’étais terrifié à l’idée d’être un jour l’un d’entre eux. Je me suis davantage intéressé à la poésie d’autres latitudes et d’autres époques. J’aime la poésie française symboliste et surréaliste. Une liste serait interminable, mais je continue à lire Rubén Darío, Baudelaire, Paul Éluard, Yves Bonnefoi, Aimé Césaire, René Char et Paul Celan. De l’Amérique latine, je reste sur Gabriela Mistral, Octavio Paz, Roque Dalton, Jaime Sabines et Eugenio Montejo. Je lis aussi les poètes honduriens : Livio Ramírez, Julio César Pineda, Marco Tulio del Arca, José González, Rolando Kattan, Yolany Martínez, Iveth Vega et Perla Rivera.

Es curioso, pero desde que era adolescente me cansé de los “poetas nacionales” y me dio terror ser un día uno de ellos. Me incliné más por la poesía de otras latitudes y de otras épocas. Me gusta la poesía simbolista y la poesía surrealista francesa. Una lista sería interminable, pero no dejo de leer a Rubén Darío, Baudelaire, Paul Éluard, Yves Bonnefoi, Aimé Cesaire, René Char y Paul Celan. De América Latina me quedo con Gabriela Mistral, Octavio Paz, Roque Dalton, Jaime Sabines y Eugenio Montejo. Leo también a mis poetas de Honduras: Livio Ramírez, Julio César Pineda, Marco Tulio del Arca, José González, Yolany Martínez, Iverth Vega y Perla Rivera.

Que recherches-tu lorsque tu lis de la poésie ?

JAF. Lire de la poésie est aussi une source d’inspiration pour moi. Mais quand je lis de la poésie, je cherche aussi à m’éloigner du bruit et de la vulgarité du monde, à chercher dans le mot un réconfort et un refuge.

Que dirais-tu aux gens pour qu’ils lisent ta poésie ?

JAF. Que j’ai un grand respect pour les lecteurs et je suis très exigeant en tant qu’écrivain et en tant que lecteur. Si les gens aiment mes poèmes, j’en suis heureux ; sinon, ils sont libres de les critiquer ou de répondre par le silence.

Comment définirais-tu ta dernière œuvre ?

JAF. Je pense que c’est livre le plus digne que j’ai jamais publié. Non seulement en raison de la qualité de son édition, mais aussi parce qu’il rassemble les meilleurs poèmes de tous mes livres précédents et un échantillon de ma poésie la plus récente.

Si tu devais choisir trois poèmes de l’Anthologie Balance Previo pour les présenter au public français lesquels choisirais-tu ?

En un lugar de la noche

¿Desde qué cama, playa o pradera

los amantes te ven

y eligen la forma más cobarde de matar el silencio?

¿O desde qué página en blanco el poeta responde a tus guiños

con versitos endulzados

que luego repetirán las niñas en los colegios?

Ya me cansas, ya nos cansas

de verte en esa esquina de cielo en espera del próximo poema.

¡Puta luna que te vendes por dos o tres metáforas!

Habla el inmigrante

Yo también soy Nadie, hermano Ulises.

Cada día, o más bien cada noche,

el Cíclope me interroga, y yo contesto: Soy Nadie.

Nadie por mi color, por ser portador de indocumentados sueños.

En una tarde amarilla de mi país

soñé una barca que surcaba el mar de los trigales.

Había tanto sol, tanto cielo,

que abandoné los muertos atados a mis pies

y pagué con lágrimas de mis hijos el precio de una estatua de sal.

Llegué a esta isla, Ulises.

Mis brazos son más vigorosos que los del náufrago

que partió las aguas para hacerse un lugar en la muerte.

Pero soy Nadie y la lluvia me moja más que a las catedrales,

y el Cíclope vigila

el pan luminoso que llevo a mi mesa,

mientras me habla de leyes y de fronteras.

La muerte tiene aliento de hielo

Didier ha muerto congelado en un bosque de Francia.

La última noche de su vida,

mientras el hielo mordía sus huesos,

recordó aquellas palabras de su madre cuando le acomodaba una bufanda azul,

antes de llevarlo a la escuela:

“Didier, reste tranquille”.

De niño él amaba la inocencia de la nieve

y el bosque era ese lugar misterioso donde podía reinar un príncipe o un lobo.

Pero esa noche los árboles se volvieron barrotes siniestros

y Didier se aferró a sus cartones, a sus trapos viejos,

hasta que un incendio blanco quemó su aliento.

Sur quel projet littéraire travailles-tu actuellement ?

JAF. Je prépare un nouveau recueil de poésie, qui sera sûrement publié en Espagne au milieu de l’année prochaine.