L’écrivain argentin Edgardo Scott, auteur de Caminantes (2022), Contacto (2021) y Luto (2021), s’est entretenu avec L’autre Amérique.
Que pensez-vous du rapport de l’écrivain à l’argent ? Pensez-vous que l’on puisse vivre de sa plume ?
C’est un vieux débat mais à l’heure actuelle, il semblerait que la professionnalisationmassive de l’écrivain veuille que cela ne puisse en être autrement et on invoque immédiatement “le droit” des écrivains. Cependant, j’ai du mal à concevoir l’art comme un travail ou une profession. Il me semble que lorsqu’un peintre, un écrivain, un musicien, “travaillent” à leur tâche artistique, et parfois pendant très longtemps, la condition de ce travail ne peut être comparée au travail tel que nous l’entendons dans les autres domaines de la vie, à savoir celui qui est régi par les forces de pouvoir de la société. Ainsi, je ne crois pas que l’art puisse se réduire à un métier,un travail ni à une profession, à moins de ne pas voir l’avilissement du monde du travail. Le travail demeure un grand problème dans notre monde. Nous voudrions que l’art soit cela? Je ne le pense pas. De plus je pense que le conflit qui a toujours existéentre l’industrie et l’art, ou entre l’art et le pouvoir (si nous voulons remonter dans le temps) est un conflit essentiel pour un artiste ou un poète parce que l’art ou la littérature agissent comme un contre-pouvoir et ne reproduisent pas le statu quo et le discours à la mode.
Ainsi, comme je disais, il semblerait que de nos jours, tout le monde trouve normal, juste, presque évident qu’un écrivain vive de sa plume, mais j’ajouterais que ce qui se cache derrière cela, c’est une ambition encore plus grande: vivre de son œuvre. En vérité, la professionnalisation du métier d’écrivain n’est pas nouvelle. Pendant une bonne partie du XIXème siècle et durant tout le XXème siècle, l’écrivain a vécu d’autres activités, voisines de la création artistique: écrire des critiques (on le trouve déjà dans les Illusions Perdues de Balzac), des articles, des rubriques (Sara Gallardo), des traductions (Walsh, Marcelo Cohen, Elvio Gandolfo), des chroniques (Norman Mailer o Ana Basualdo), des cours (Nabokov, Anne Carson), des conférences (Borges), des scenarii, des corrections, un travail éditorial, etc. Mais à l’heure actuelle, ce à quoi on aspire c’est vivre des revenus que peut générer sa propre œuvre en tant que producteur, propriétaire: droits d’auteur, droits de traduction, livres audio, droits d’adaptation (ceci est clé actuellement car il s’agit d’une grande attente de la part des écrivains professionnels: que leurs livres soient adaptés pour une série ou un film, parce que c’est là où il y a le plus d’argent); c’est-à-dire que l’écrivain génère des contenus, en tant que créateur soit, mais d’un produit de l’industrie culturelle.
Vous animez des ateliers d’écriture en France, quelle est votre approche et que souhaitez-vous transmettre ?
J’ai animé pendant deux ans des ateliers d’écriture dans une librairie de Buenos Aires et j’ai également donné des cours dans une école d’écriture créative. J’ai arrêté ces deux activités avant de venir en France. Je les ai reprises ici d’abord, par nécessité économique, une façon d’avoir un autre revenu pendant que je m’occupais de l’équivalence de mon diplôme,pour pouvoir travailler comme psychologue clinicien et psychanalyste en France. Et je dois dire que ça a été et ça reste un grand plaisir d’animer cet atelier (actuellement à la librairie Cariño à Belleville), avec un groupe hispano-américain auquel se sont joints des élèves français qui écrivent en castillan. C’est un groupe super, de bons écrivains et très sympas. Ils viennent de différents pays, (Chili, Pérou, Paraguay, Guatémala, Mexique, Argentine). Je trouve que dans cet atelier sont intégrés tous les éléments en jeu quand on commence à écrire. J’essaye de leur transmettre une lecture critique des textes ainsi que mon expérience quant aux éléments extérieurs au texte qui néanmoins, participent à la pratique de l’écrivain.
A l’instar de Cortázar, Copi ou d’Eduardo Berti, avez-vous l’impression de perpétuer la tradition de l’écrivain argentin en France ? Cela modifie-t-il votre rapport à la langue ?
Ce n’est probablement pas seulement une question de statistiques. Bon nombre d’écrivains et d’écrivaines argentins ont vécu et vivent à Paris ou en France, mais aussi ailleurs. La tradition est une lecture extérieure et postérieure, elle est toujours mieux lue par d’autres et après.Saer, qui occupe une place importante dans la littérature argentine, n’a jamais participé ou participe à peine au champ littéraire français, et Bianciotti qui est peu lu actuellement – sans aucun jugement de valeur- par exemple, a été élu à l’Académie Française. Quant à Cortázar, Alicia Dujovne, Copiou Laura Alcoba, ont pu trouver leur place sur les deux rives. Pour l’instant, je suis un étranger, un émigré et j’écris depuis cet endroit car c’est le lieu où j’habite: le lieu de l’étranger, de celui qui vit « afuera » comme nous disons en Argentine. Et bien, il me semble que ce mot convient tout à fait, afuera, parce ce que finalement il donne la sensation que l’on vit dans son propre pays, sans vivre pour autant dans l’autre, là où on est arrivés.
La façon dont cela modifie le rapport à la langue est double. D’un côté, je crois que cela renforce et rend particulier le rapport à ma langue maternelle, à savoir le castillan du Ríode la Plata; je crois que ça l’affine en en faisant un territoire délimité., tant par mes composantes vitales que par mes lectures. Par ailleurs, la relation avec la langue d’arrivée, le français, commence à intervenir et affecter mon regard et ma lecture.
Quelle est votre compréhension de la communication en tant qu’écrivain et psychanalyste ?
J’essaye toujours de séparer ces territoires, car dans mon cas il s’agit de mon travail et non de la littérature qui, si on veut, est mon art. Dans ce sens, mon modèle est Luis Gusmán, mais également, pour d’autres raisons, de nombreux écrivains qui travaillent à partir de quelque chose qui n’a rien à voir avec leur littérature ni avec “le littéraire”. Gustavo Nielsen, Fogwill, Gustavo Ferreyra ou,plus récemment,María Gainza, ont pratiqué cela aussi. Piglia disait: “de plus il est bon qu’un écrivain ait d’autres savoirs”
Pour ce qui est de la communication, je crois que la communication totale est imposible, ou justement, c’est un des états particuliers et de fulgurances tel que peut atteindre la poésie ou l’amour.
Dans vos livres, vous vous êtes largement inspiré de faits personnels. Comment réussissez-vous à transformer un fait autobiographique en fait littéraire ?
Ce n’est pas sûr. En revanche, les deux derniers livres que j’ai publiés, Cassette vierge et Contact, contiennent un élément autobiographique important(et je ne le renie absolument pas), mais en fait, j’ai publié davantage de fictions ne contenant pas cet élément. Godard disait quelque chose de très juste, un bon documentaire est celui qui semble être une fiction, et une bonne fiction est celle qui semble être un documentaire, c’est-à-dire une non fiction. Je suis d’accord avec ça, et je crois que c’est là où résident la recherche et le travail formel, atteindre cet objectif selon le cas. J’aime et c’est important pour moi quand la littérature se mêle à la vie. J’aime quand on sent la vie dans la littérature.
Traduction L’autre Amérique