El Edén de Eduardo Antonio Parra par Miguel Tapia

Eduardo Antonio Parra, El Edén, traduit de l’espagnol (Mexique) par François-Michel Durazzo, Zulma, 2021, 336 p. [Laberinto, 2020]

El Edén est situé dans le nord du Mexique. C’est une petite ville d’apparence insouciante, comme l’atmosphère des montagnes qui l’entourent, où vivent des gens simples, travailleurs et déterminés. À El Edén, cependant, ces simples privilèges sont toujours accompagnés d’une terrible menace : tout peut être perdu en un instant. C’est cette période qu’Eduardo Antonio Parra, l’un des écrivains qui a le mieux dépeint le nord du Mexique ces dernières décennies, choisit de nous montrer dans son dernier roman, El Edén.

Dans un bar de la ville de Monterrey, le narrateur, ancien professeur de littérature à El Edén, rencontre un soir l’un de ses anciens élèves les plus brillants, Darío. Ensemble, ils boivent et se remémorent les années passées dans sa ville natale. Dans l’atmosphère raréfiée du bar de la ville, Darío tente, de manière désordonnée, de raconter la nuit, quelques années auparavant, où une confrontation entre groupes rivaux a déclenché une explosion de violence qui a pratiquement anéanti la ville.  

Au cours de ces années, des groupes de producteurs et de trafiquants de drogue, abrités par l’immensité et l’abandon de la région, ont imposé leur loi et ont cherché à prendre le contrôle d’El Edén. Cet après-midi-là, des expéditeurs anonymes avaient envoyé des SMS aux villageois pour les avertir de rester chez eux, un message devenu courant dans les règlements de comptes, et que les villageois avaient appris à prendre en compte sans autre forme de procès. Cette fois, cependant, la confrontation limitée attendue se transforma en une bataille généralisée et sans fin.

Darío, qui est alors un jeune homme déterminé et athlétique, quitte l’abri de sa maison en compagnie de sa petite amie, Norma, pour rechercher son jeune frère absent, alors que toute la ville est consciente des risques. Cette décision se transforme en un véritable voyage en enfer : le couple part et erre dans les rues d’El Edén, sans pouvoir atteindre les destinations qu’ils se sont fixées, pris au milieu d’une guerre disproportionnée et insensée.

Les événements sont brutaux, racontés dans le langage familier d’un bar sordide, déchiqueté par la douleur et l’alcool. Les scènes placent sous nos yeux un niveau de violence qui semble parfois – comme la vie quotidienne mexicaine elle-même – appartenir à une autre réalité. C’est au cours des déambulations du jeune couple dans les rues d’El Edén que Parra nous offre sa maîtrise de la description du nord du Mexique. Au milieu des poursuites, des embuscades, des fusillades insensées de toutes sortes d’éclats d’obus, Darío et Norma cherchent à se frayer un chemin dans la ville dévastée. Contraints de se dissimuler sans cesse, passant de la terreur extrême de la fuite à l’immobilité totale, les deux corps s’unissent dans le désir brûlant de disparaître ; ils cherchent, dans des étreintes furtives au fond des jardins ou dans les maisons abandonnées, une fuite impossible.

Le parallèle entre l’extrême violence et l’éveil sexuel de Darío aux mains de Norma, une fille sensuelle plus âgée que lui, concentre les moments les plus choquants du roman. El Edén raconte les conséquences d’une réalité dévastatrice qui devient de plus en plus banale, en montrant son rôle dans l’éveil brutal d’un adolescent à de grandes peurs et passions. Parra nous expose, sans concession, à l’évidence que les rêves peuvent devenir, en une seule nuit, un horrible cauchemar.

Miguel Tapia 

Traduction L’autre Amérique