La féconde multinationale de la peur : une lecture de la représentation de la violence dans la littérature de Juan Villoro, Israel Centeno et Yuri Herrera par Carmen Vivas

Cet article est né de notre intérêt pour la réflexion sur la manière dont la littérature contemporaine en Amérique latine a intégré la représentation de la violence dans le cadre de circonstances sociales et économiques générées par le contexte de la mondialisation. Pour nous situer plus précisément par rapport à ce sujet, nous essaierons de répondre à la question suivante : Comment la littérature aborde-t-elle les nouvelles formes de violence apparues en Amérique latine ? Comme des modes opératoires excessifs, qui se répandent dans toutes les institutions sociales et qui les traversent, sans présenter de passeport aux frontières, pour réaliser des échanges commerciaux et former des réseaux internationaux de délinquance (l’exemple le plus évident étant le trafic de drogue). Ces types de violence révèlent sans aucun doute de profondes ruptures dans l’organisation formelle de la vie politique, et détissent la trame sociale en parvenant à annihiler l’aspiration à configurer un espace public.

Jesús Martín Barbero signale qu’on assiste en Amérique latine à la transformation de la dynamique des espaces et que des villes comme Caracas, Mexico ou Ciudad Juárez se définissent principalement par une violence excessive (2001). Ce concept implique que des formes archaïques de comportement apparaissent simultanément et contradictoirement à des dynamiques de vie propres à la modernité. L’aspect le plus compliqué de cette coexistence perturbatrice est que la violence généralisée, selon Martín Barbero, a fini par être admise comme banale et même naturelle. Daniel Pécaut, lui, la qualifie de « violence banalisée », puisqu’on la considère comme un élément inéluctable de la vie sociale. Martín Barbero attribue cette Naturalisation à diverses circonstances telles que : la désinstitutionalisation, le sentiment d’impuissance qui replie le sujet sur lui-même, la croyance en une malignité nationale et le développement du caractère exhibitionniste et fascinant du délinquant, entre autres… et cette violence généralisée et normalisée s’infiltre et modifie les pratiques culturelles telles que l’écriture.

María Helena Rueda, dans son article “Nación y Narración de la violencia en Colombia (de la historia a la sociología)”,, fait remarquer que la violence est une situation d’extrême vulnérabilité qui a engendré une grande quantité de textes, et elle affirme à ce propos que :

El acercamiento a la violencia en la escritura, en cualquier contexto,aparece acompañado de un cierto malestar, tanto por la brutalidad de los eventos observados, como por la incapacidad del texto para remediar aquello que constituye su objeto: hechos irreversibles que siempre preceden y sobrepasan lo se escribe sobre ellos. A esto se suma el que los textos no puedan realmente apartarse de dichos excesos. Si bien la escritura ofrece la posibilidad de un distanciamiento con respecto a la violencia es difícil pensarla como un acto ajeno a ella (2008: 346).

Je reprends cette citation de Rueda pour relever quelques éléments concernant la relation complexe entre écriture et violence, dont je me servirai plus loin pour l’analyse des textes choisis. En premier lieu, il s’agit de mettre en valeur la littérature comme un espace où se manifeste le malaise d’une culture qui se définit à partir de l’échec et de l’anomie. Rappelons que, selon Michel Wieviorka, la violence fonctionne parfois comme une négation

de la subjectivité ; cet auteur soutient également qu’il existe une relation inverse entre le conflit social et la violence, cette dernière pouvant arriver par un excès ou un manque de sens (2004).

En second lieu, au-delà d’un terrain qui révèle le dysfonctionnement, l’écriture pourrait être aussi une pièce de l’engrenage de la violence. C’est cette perspective que reprend Rueda à partir des études de Nancy Amstrong et Leonard Tennenhouse qui postulent que l’écriture qui aborde la violence n’est pas tant une manière de s’en approcher qu’un mode de violence en soi (1989). Toutefois, je veux manier cette réflexion avec des pincettes et prendre mes distances avec les généralisations, car je crois que nous pouvons aussi penser que représenter la violence dans la fiction, pourrait être une façon d’essayer de la « manipuler », de lui mettre des limites en tant qu’écriture, soit l’acte de transfigurer en appréhensible ce qui dans la réalité déborde et manque de sens.

C’est pourquoi l’un des critères qui m’ont conduite au choix du corpus a été de préférer les narrations qui proposent une élaboration du discours de la violence comme problème. J’insiste sur le changement car en Amérique latine les textes qui coïncident avec la fondation des nations, présentent une violence ritualisée, légitimée en tant qu’effort pour consolider les états et justifiée comme sacrifice héroïque de la guerre. Et j’ajoute, ayant foi en un avenir où se consoliderait un État comme celui conçu par Max Weber, qui comme nous le savons, deviendrait capable de monopoliser l’autorité sur l’exercice de la violence. Dans les dites narrations la prédominance est au témoignage, à l’anecdote, au récit des faits, au bénéfice de la création de la patrie. Au contraire, dans l’actualité, Augusto Escobar note que la littérature de la violence est :

“novelística la experiencia vivida o contada por otros, el drama histórico depende de la reflexión y mirada crítica sobre la violencia que actúa como reguladora y a la vez como factor dinámico” (http://www.javeriana.edu.co/narrativa_colombiana/contenido/en_curso/en lared.htm).

Sur ce point particulier, Julio Miranda signale que la « Narration de la violence » est celle qui présente quelques-unes des questions suivantes : l’injustice sociale, la corruption gouvernementale, le crime dans toutes ses implications et la lutte révolutionnaire (1975).

Dans le présent article, nous nous axons sur la littérature qui s’occupe de « la violence généralisée et normalisée », celle qui naît à partir d’une nouvelle relation littéraire avec un type de violence qui inonde le moindre espace de la vie sociale et politique. Ce cadre si chargé de sens est celui qui m’a amenée à me concentrer sur la manière dont trois auteurs intègrent ce phénomène dans la fiction. Pour cette discussion, je propose d’aborder deux romans : Calletania (1992) du Vénézuélien Israel Centeno et Señales que precederán al fin del mundo du Mexicain Yuri Herrera ; plus un conte tiré du livre Los Culpables (2007) du Mexicain Juan Villoro. Des textes qui envisagent la culture qui émerge du fait délictueux comme un amalgame entre les déviations, la marginalité, la religion, la terreur et la soif de pouvoir, encadré par la rapidité des communications, les mafias internationales du crime et l’abandon du respect envers les états nationaux.

Le réseau d’une multinationale de la misère,

les quartiers dominés par le narcotrafic : Calletania de Israel Centeno

Calletania de Israel Centeno (1992) est l’un des premiers romans qui, au Vénézuéla, ose raconter la violence qui se manifeste à plusieurs niveaux dans un quartier de Caracas, et il propose comme une plaisanterie l’idée de la légitimité du recours à la violence par l’idéal révolutionnaire. Ce texte décrit une culture de l’excès, où le désir justifie la corruption comme moyen de le satisfaire. Je mentionne l’année de parution de ce roman car en 2000, Susana Rotker, dans Ciudadanías del Miedo, signalait à propos de l’absence de textes abordant la violence :

escasa la producción literaria en el continente que se interese o logre condensar de algún modo el miedo o la violencia social, a pesar de la inmensidad del problema en la vida cotidiana. La escasez es significativa (…) Producción literaria no se refiere a estudios, a recopilación de documentos o entrevistas, obviamente, sino a la literatura que, a través de la ficción, ha logrado narrar un aspecto de la realidad (2000: 87)

Je crois que Calletania marque la fin de ce manque dont parlait Rotker, car le regard se pose sur le quartier, sur un espace incontrôlé, et pourtant contrôlé par les armes. Dans Calletania, les individus démontrent l’inefficacité de la loi, les institutions politiques perdent leur objectif car elles sont corrompues par des polices mafieuses et des narcotrafiquants. Les groupes d’appartenance fonctionnent pour se défendre, en commettant des délits ; la famille est un milieu chargé d’inceste et de délits sexuels. Un des principaux personnages du roman, le Colonel, qui est en contact direct avec l’espace militaire, assume bon nombre de déviations : c’est un toxicomane, il utilise le pouvoir que lui confèrent les appareils gouvernementaux de façon perverse et, comme si cela ne suffisait pas, il a un faible pour les mineures. C’est le pont qui relie la délinquance de l’intérieur du quartier à celle de l’extérieur. Les affaires qui fleurissent le plus dans le réseau vertigineux du quartier sont : le narcotrafic, les tueurs à gages et la séquestration. Les grands chefs ont le contrôle de ces espaces inaccessibles aux institutions gouvernementales. A genoux devant ce pouvoir, le roman décrit des attitudes d’extrême soumission où les parents, de bon gré, vont jusqu’à offrir leurs filles aux chefs.

Dans une scène, une jeune fille du quartier, Tania, couchée avec sa cousine, pense à ses chances de réussite dans ce milieu et à l’aide que peut lui procurer le Colonel pour sortir de la misère :

Tania recordó la tarde, parecida a otras tardes, sólo que el Coronel estuvo allí. Alguna vez fue la alternativa para sus tías, el salvoconducto para salir con honra de aquella cueva enmohecida por malos hedores y humedades.

–Si en esta porquería se apareciera una Virgen, le pediría un milagro. La prima le pasó una pierna por encima del vientre.

–¿Cuál?

Tania le sonrió. Buscó darle la espalda. Su vida estaba encajonada. No existía salida digna. ¿Qué le sugería el Coronel al volver al barrio, al buscarla como mirando al suelo, al achicar sus ojos e intentar hablarle?

Una posibilidad, la única. Aquella idea la excitaba, era una salida, un camino nuevo, abrasivo, fuera de aquella casa de distorsiones. Desde niña no escuchaba un solo cuento con final feliz. De cualquier manera, sus primas se iban convirtiendo en violadas de escaleras, de lavandero, en concubinas por la imposición torcida de hombres detestables, de manos ásperas como patas de perro (39)

Le quartier est représenté comme un labyrinthe étouffant, une structure chaotique qui détruit la vie des individus. La ville dans ces récits n’est pas un cadre, la manière dont elle est constituée est une source génératrice de violence. À ce propos, je tiens à rappeler un livre

« “Latinoamérica: las ciudades y las ideas”» de José Luis Romero. Son auteur mentionne au sujet des villes massifiées, que de nouveaux individus originaires de la campagne, ou des migrants, en se joignant aux habitants de la ville, ont conflué dans un espace déterminé par un état anomique. La société standardisée constatait que ses normes étaient caduques face à l’irruption de groupes violents. C’est pourquoi, selon Romero, il y a eu une accoutumance à la violence sans doute à cause du sentiment qu’elle seule donnait accès (375) à ce que la ville offrait. Et pour brosser un panorama plus complet, Romero observe que la richesse entourant ces groupes, qui vivaient avec presque rien, leur a permis de se maintenir “por una cultura material de los desperdicios“consistant à absorber ce qui n’était plus culturellement glorieux pour les classes les plus hautes.

Tous ces éléments ressortent dans le roman de Centeno qui déplace son objectif sur le minimum, sur les individus qui survivent dans les morceaux d’une ville qui a éclaté. Sur cette anarchie due à la dissipation des illusions politiques vendues avec la révolution cubaine :

El Barrio contra el Barrio. Se marean todos los conceptos de luchas de clases y me parece ridículo ponerme a conceptualizar, a no ser que llegue a la conclusión de que es una locura estar reducidos a una procesión moralista, olvidada de las cosas esenciales, como la marginalidad, el desfase social, el capital, la enajenación del mismo, las posturas aquellas de trabajar con todos para cambiar todo. Guevonadas.

Estaba frente a un grupo de malandros en la esquina, intentando una explicación, no para ellos, que me ignoran, ellos veían crepúsculos sangrientos, callejones cerrados donde dejarían sus vidas arrumadas, junto a otras (16).

Les personnages renvoient à des survivants, capables de tout pour garder la tête hors de l’eau. Et cela se rattache à une autre idée de Romero : « la morale du découragement » qu’il définit comme “como la necesidad que justifica todo: los métodos, del engaño, la astucia para sortear dificultades, apropiación de bienes del otro, la venta de sí mismo, el chantaje. Es decir, el descreimiento de la posibilidad de salir del círculo de miseria empuja al delito” (86). (86). Et c’est fondamental ; une autre des raisons avancées pour justifier le crime est de l’accepter comme mode d’ascension sociale. Pourtant, ce n’est pas l’impression qu’a le lecteur de Calletania, cette saturation de violence nie le regard du délinquant comme subalterne, si proche du texte-témoignage des années 70 au Vénézuéla. Le récit présente la désinstitutionalisation des principales entités de l’administration de la justice et de la sûreté, qui se font toutes petites devant les multinationales de la délinquance. Concepción Anguita

Olmedo et María Victoria Campos Zabala dans leur article “La globalización de la inseguridad”(2008) soutiennent que la mondialisation a permis de nouvelles formes de délits, dont le crime organisé international et le terrorisme sont les principales. Elles considèrent que certaines d’entre elles sont dues à l’importation et à la réadaptation au nouvel environnement de formes délictueuses d’autres pays, et que ces groupes criminels organisés dans différents pays sont intimement liés non seulement par les moyens qu’ils emploient, mais aussi par leur financement géré à un niveau mondial.

Dans le libre commerce des affections, les Mexicains ne tuent que leurs amis

Dans le livre de Juan Villoro Los Culpables, le conte “Amigos mexicanos” parle d’un journaliste qui voyage à Mexico pour faire un reportage sur le District Fédéral (DF). Pour affronter la réalité mexicaine, il fait appel à un scénariste décadent qui doit lui montrer le Mexico autochtone.

Le personnage du reporter est proche du nouveau journalisme et il a pour mission de témoigner de l’horreur, une imposture qui d’une certaine manière, peut-être lointaine, rappelle l’image de l’effort des lettrés pour comprendre la méchanceté, qui advient dans une ville digne de l’époque de la mondialisation telle que l’est le DF mexicain. Ce personnage évoque une voix dans le récit que Argenis Monroy qualifie comme celle du « délinquant journaliste », un intellectuel en marge de la loi qui raconte le délit dans un effort pour récupérer le projet modernisateur du XIXème siècle contre la barbarie, faire la lumière sur le pouvoir qui professionnalise le délinquant et qui fonctionne comme des agences délictueuses (212 : 85).

À propos de la façon d’expliquer la culture mexicaine dans le DF d’aujourd’hui, dans le conte “Amigos mexicanos” le personnage du scénariste se plaint de la perspective que tente de construire la presse étrangère :

En vez de traducir a Monsiváis o a Mejía Madrid, mandaban a un cretino madonnizado por el prestigio de escribir en inglés. El planeta se había convertido en la nueva Babel donde nadie se entendía, pero lo importante era no entenderse en inglés. Este Discurso me pareció patriota, así es que lo alargué hasta que temí sonar antisemita(2007 :42).

Ces propos dont l’incohérence nous fait rire, me rappelle que, pour Hermann Herlinghaus, l’hétérogénéité de l’expérience de la ville nous défie au point de la rendre impensable, car elle forme une trame culturelle qui remet en question nos notions de culture et de ville, qui transforme la sensibilité et même les modes du vivre ensemble (128). Ainsi, après un premier reportage durant lequel il est volé et abandonné dans un endroit lointain, le journaliste revient à Mexico et contacte à nouveau le scénariste pour continuer à enquêter sur cette violence inassimilable pour le monde occidental. Lors des retrouvailles, il lui avoue :

-No quería volver a México- dijo en voz baja.

¿Era posible que alguien curtido en golpes de Estado y nubes radioactivas temiera la vida mexicana? (…)

Aquí hay algo inapresable: la maldad es trascendente –se pasó los dedos por el pelo delgadísimo-. No se causan daños porque sí: el mal quiere decir algo.

Fue el infierno que Lawrence Durrell y Malcolm Lowry encontraron aquí.

Salieron vivos de milagro. Entraron en contacto con energías demasiado fuertes.

En ese momento me trajeron un jarrito de barro con agua de Jamaica. El asa estaba rota y había sido afianzada con tela adhesiva. Señalé el jarro:

-Aquí la maldad es improvisada. No te preocupes, Samuel (112).

La répétition de récits personnels sur les rencontres avec la violence, rappellent l’idée de Susana Rotker selon laquelle la violence engendre une crise dans le discours, et qu’à partir du « récit personnel », on tente de saisir un panorama politique et économique archaïque qui ne cadre pas avec l’ère de la mondialisation. La série de faits narrés dans le conte fonctionne comme une improvisation macabre, la composante en est le manque absolu de loi qui permet que n’importe quel fait minable se déchaîne. On ne peut qu’espérer la contingence. Les niveaux d’absurde augmentent lorsque le journaliste est séquestré, au moment où, pour comprendre la réalité mexicaine, il assistait à un échange de cocaïne. La supposée enquête pour le retrouver, qui en découle, met en lumière une police complètement inefficace. Le journaliste est libéré sur décision des ravisseurs, et son récit complète l’atmosphère absurde de « l’apocalypse mexicaine » est un excès, un amalgame qui passe par la religion catholique, des éléments préhispaniques, la pop, dans un même rituel de tentation de la mort, où ce qui est résiduel dans la culture mexicaine garde la même présence que ce qui émerge de l’ère globale.

Michael Taussig (1997) soutient que la mort est source d’un élan vital, magique de grâce et de pouvoir. Récupéré par l’état moderne cet élan s’est converti en une grande machine de mort et de guerre. On pourrait penser que dans le récit les ravisseurs dépouillent l’État de l’exercice légitime de la violence, mais, ils s’approprient aussi les modes opératoires d’un état qui utilise la mort, et joue à l’incertitude avec les citoyens. Cela reproduit un fonctionnement où il n’y a pas de lois claires et où le citoyen vit même sans savoir quand il sera menacé ou protégé ou peut-être encore ignoré par l’état, dans une quotidienneté de référents multiculturels.

Transférer l’identité dans le transfert des frontières :

Señales que precederán al fin del mundo de Yuri Herrera

À notre époque, où le mot « mondialisation » passe de main en main, où les frontières semblent souligner de plus en plus clairement l’absence de péages entre les lieux où s’amalgament les cultures, les déplacements des individus pourraient être assumés comme un événement peu transcendantal. En ce sens, nous nous doutons que la migration, engagée sur une inexorable voie vers la naturalisation, se détache de l’image du traumatisme que cause l’absence de solidité de l’enracinement dans le national ou le local.

À propos des nœuds complexes entre frontières, identités et mémoires, dans Al sur de la modernidad (2006), Martín-Barbero, tentant de comprendre leurs superpositions, reprend la notion de palimpseste : “ese texto en el que un pasado borrado emerge tenazmente, aunque borroso,en las entre líneas que escriben el presente” (145). Je fais mienne la description du palimpseste qu’il suggère, pour penser la fiction comme un espace où se reflètent les tensions qui surgissent entre les figures de la mémoire, et qui déterminent la relation de l’individu qui a quitté son pays d’origine avec le contexte qu’il découvre. Señales que precederán al fin del mundo de Yuri Herrera, raconte l’histoire de Makina, une Mexicaine qui décide de traverser la frontière pour rechercher son frère, qui est parti et dont on n’a aucune nouvelle. Un voyage que Herrera élabore comme une métaphore du Mictlán de la mythologie précolombienne.

Dans un travail intitulé “Actas y actos de inmigración”, Brad Epps définit la migration comme l’acte « d’arriver et de partir », qui affecte notre capacité à savoir qui nous sommes (263). De ce même texte, j’aimerais reprendre plusieurs questions qui s’y trouvent posées. Parmi elles, j’en pointerais deux, que je trouve révélatrices : En quoi nos mouvements sont-ils significatifs ? Nos points de départ, nos désirs et nos destins ? (200 : 262). A partir de ces interrogations, je m’intéresse au sens du transit, que je comprends comme l’ensemble des portraits parqués dans les divers référents de violence qui composent la trajectoire du personnage. Makina, dans le récit de Herrera, est décrite comme une héroïne, qui essaie de couler sans se laisser contaminer par la méchanceté du monde qui l’entoure. Moralement irréprochable et puissante, elle se voit dans l’obligation de faire face à tout un contexte qu’elle doit utiliser pour retrouver son frère. Rappelons le conseil que lui donne sa mère lorsqu’elle la charge d’aller le chercher et de lui apporter un message. “Vaya a la ciudadcita, acérquese a los duros, ofrézcales servirles, yái que le echen una mano con el viaje” (13).

Les références géographiques de Makina vont du trou, au Gran Chilango, ou au Gabacho… Elles composent toutes un univers de trafiquants de drogue, de corps, de promesses, une normalisation des formes de promotion sociale, qui passent par l’acceptation du délit. On voit donc clairement la corruption de ce fragile corps social qui s’est construit et se tisse dans un abécédaire de délinquants qui disparaissent dans l’anonymat. Rappelons que les personnages avec lesquels Makina négocie n’ont pas de nom : monsieur H, monsieur W, monsieur Q, monsieur P… Dans une interview que j’ai pu réaliser avec Herrera, je lui ai demandé la signification de ces personnages nommés alphabétiquement. Et selon ses propres mots :

Son, digamos, como puntos cardinales de una geografía de poder, cada uno de ellos está a cargo de una determinada área de influencia en este microcosmos. Me gusta que los personajes vayan construyendo su nombre a lo largo del relato, y en el caso de estos, que sean designados

de esa manera tan apretada tiene que ver con su misma condición de seres cerrados sobre sí mismos, cuya sigla se convierte en una marca.

Son   sus   acciones   lo   que   le   da   peso   a   la   cifra   de   cada nombre.( https://lektu.com/l/el-rapto-de-europa/el-rapto-de-europa-no-20- violencia-y-literatura/348)

En ce sens, le pouvoir des personnages qui dirigent le monde que parcourt Makina se transmet dans ce que Monsivais définit comme «la tradition de l’impunité », et qu’il explique comme un continuum. Un continuum de forfaits qui débute à Mexico et se poursuit tout au long de son voyage aux Etats-Unis.

À la fin du récit, dans une image traduisant l’acte « d’arriver et de partir » que mentionne Epps (2002), Makina retrouve son frère, qui a renoncé à son identité en se prêtant à une substitution. La tromperie évite à un jeune nord-américain d’aller à la guerre, le frère de Makina accepte de partir sous les drapeaux à sa place, pour obtenir la nationalité du déserteur caché et rester ensuite aux Etats-Unis. À nouveau, la survie oblige à enfreindre la loi, et en plus, le rejet de ses racines implique une subordination. Soit la négation complète de l’individu : effacé tant par la violence que par la tentative d’y échapper.

Selon Cornelius Castoriadis les individus socialisés sont des fragments qui voyagent et parlent d’une société donnée (1998 : 313). Si nous adaptons cette image de Castoriadis aux personnages des récits que nous avons analysés, la voix passe par des individus qui parlent d’institutions minées par une vie sociale tissée par la violence. Face à des états déficients, le seul état efficace est celui que nous a défini Susana Rotker comme : un état de victime-en- puissance qui a abouti à ce que la vie soit vécue comme « une guerre non déclarée » (2000 :18).

Pour conclure, j’aimerais signaler que la manière dont ces textes représentent la violence généralisée fonctionne comme un geste contraire à la réalité, car ces fictions ne la banalisent ni ne la normalisent par l’intermédiaire de son esthétisation, mais elles incorporent le thème pour montrer son omnipotence incontrôlée qui a débouché sur l’anomie, le chaos et le non-sens.

Ce qui est au-dessus des états et qui fait réseau, c’est la sensation qu’en Amérique latine si nous, les individus, nous sommes connectés, c’est par la perplexité que produit l’impunité.

Carmen Vivas

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