Bruna, soroche, y los tíos de Alicia Yánez Cossío par Antoine Barral

Alicia Yánez Cossío, Bruna, soroche, y los tíos, Ediciones Paulinas, Bogotá, 1974, 240 p. [Inédit en français]

Bruna est l’une des dernières descendantes d’une famille habitant une grande et vieille maison, avec patio et fontaine, dans une ville coloniale des Andes, aux églises d’or qui pourrait fort bien être Quito, capitale de l’Équateur. Cette « ville assoupie » est frappée par le soroche, mal des montagnes qui empêche de respirer et ici dans un sens figuré, un conformisme social et religieux étouffant qui va parfois jusqu’à la folie…

C’est l’histoire de cette famille qui nous est contée sur le registre du réalisme magique avec ses secrets, ses reniements, ses mensonges, ses rituels, ses fantômes, à travers plusieurs générations où les femmes tiennent les rôles les plus importants, ce qui permet à Alicia Yánez Cossío (Quito, 1928) d’attaquer au vitriol cette société conservatrice d’un point de vue féministe. Dans cette famille où bien des mères meurent en couches et où les pères succombent parfois à des morts violentes, les enfants sont élevés en partie par leurs oncles et tantes, porteurs de la mémoire commune, ce qui explique la dernière partie du titre.

De chapitre en chapitre et de génération en génération, nous découvrons la vie de ces femmes, en commençant par Yahuma Illacatu, devenue María Illacatu par sa conversion au catholicisme, fille d’un riche cacique indien, donnée en mariage à un certain García arrivé d’Espagne à l’époque coloniale. Mais cette fondatrice de la lignée en est aussi la honte, celle dont on voudra toujours nier l’ascendance indigène, celle qu’on « blanchit » sur les portraits, celle dont on cherche à diluer le sang impur par les mariages des générations suivantes.

La lecture de ce roman fait souvent ressurgir des souvenirs de Cent ans de solitude (paru en 1967) tant son usage du réalisme magique est remarquable : une riche imagination, des images fortes, de l’humour, de la poésie, autant d’ingrédients qui font de ce premier roman une réussite.

Ce qui est certain c’est que le roman d’Alicia Yánez Cossío représente l’œuvre la plus aboutie du réalisme magique équatorien des années 1970. Le manuscrit proposé à un concours en 1971 sous un pseudonyme féminin sera refusé, puis en 1973 à un autre concours, il gagnera le prix sous un pseudonyme masculin ! Bruna, soroche y los tíos a été régulièrement réédité en Équateur et dans les pays voisins, adapté en braille et traduit notamment en anglais et en italien.

Antoine Barral