La quatrième dimension de Nona Fernández par Luis Samaniego

La quatrième dimension, Nona Fernández, traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet, Stock, 2018, 288 p. [La dimensión desconocida, Random House, 2017]

« J’imagine […] ». Ces premiers mots du livre expliquent le caractère de l’histoire, sa teneur et sa subtilité. Ils ont une telle importance que, jusqu’à la fin du livre, le lecteur se demande si la rencontre entre la narratrice et l’ancien tortionnaire est réelle. En fait, le fantôme de cette présence la hante depuis sa jeunesse, plus exactement depuis 1984, après avoir lu son témoignage dans le magazine Cauce, où l’homme décrit son travail de tortionnaire.

Découvrir le passé est un besoin légitime, mais vouloir à tout prix faire la lumière sur un gouffre, connaître les détails de la partie la plus exécrable de la dictature chilienne, n’est-ce pas aussi un peu malsain en fin de compte ?

« J’imagine […] », donc, marque la distance entre les faits qui sont relatés et la manière avec laquelle la narratrice encore enfant lors du coup d’État, y a accès : l’imagination. Elle recrée le moment de l’enlèvement de certains leaders de l’opposition, leur déplacement forcé dans les lieux de détention, la torture et ensuite leur exécution. Le recours à l’imagination se révèle efficace. Cependant, au fil du roman nous comprenons qu’il existe une frontière au-delà de la mise à mort et de la disparition des corps des détenus-disparus, et que cette frontière n’est autre que la quatrième dimension.

L’homme qui torturait est le porteur de la clé qui unit les deux mondes : celui de nos habitudes et celui des souffrances perpétuées par autrui. Il permet le passage à cette autre dimension que l’on peine à imaginer et que les détenus ont également tant de mal à accepter comme une possibilité réelle.

Dans sa réécriture de l’Histoire, la narratrice se force à combler les espaces vides, les informations manquantes dans les rapports officiels et les documentaires. La mémoire collective au niveau institutionnel trouve également des limites. Par exemple, le musée sur la dictature[1] inauguré en 2010 contient certaines lacunes – les récents gouvernements du Chili n’étant pas encore tout à fait affranchis du régime de Pinochet.

Nona Fernández, à travers son personnage, se demande pourquoi ne pas faire comme d’autres de ses concitoyens et préférer les histoires de super-héros où tout finit bien, au lieu de continuer à déterrer le passé. Si la rencontre avec ce vieux tortionnaire avait lieu, à quelles autres questions aurait-il pu bien répondre ?

Luis Samaniego


[1] Museo de la Memoria y los Derechos Humanos / Musée de la mémoire et des droits humains.