Cien cuyes, Gustavo Rodríguez, Alfaguara, 2023 [Inédit en français]
Dans Cien cuyes[1] Gustavo Rodríguez aborde un sujet d’actualité, au cœur des débats publics en Occident : l’euthanasie. Récemment, Michel Houellebecq a publié une lettre dans Le Figaro pour exprimer sa position contre cette pratique. C’est ce que l’on pourrait appeler un sujet brûlant. Gustavo Rodríguez aborde la question à travers un réseau de personnages du quatrième ou du troisième âge que l’on ne rencontre pas habituellement dans le monde littéraire. Des hommes et des femmes âgés qui vivent en marge de l’existence, à demi oubliés par leur famille dans le meilleur des cas, dans des maisons de retraite ou des maisons poussiéreuses. Comme le dit l’un d’entre eux : « Vieillir, c’est la merde… ». Le point commun entre tous ces personnages est Eufrasia. Il s’agit d’une femme d’une quarantaine d’années qui aide Doña Carmen, l’une de ces personnes âgées, dans ses tâches quotidiennes. Par une succession d’événements, Eufrasia finit par assister plusieurs personnes dans leur décision de mourir dignement. Elle leur procure la substance qui les tuera, les héberge, leur joue leur chanson préférée, et les réconforte. L’analogie avec Charon, le passeur d’âmes de la mythologie grecque, est évidente mais insuffisante : Eufrasia est un moyen, rien de plus. Mais un moyen sûr, réconfortant, chaleureux. L’action se déroule au Pérou, où l’euthanasie est illégale.
Ce fut une bonne surprise de lire une telle histoire, car personne ne veut se projeter dans la vieillesse. Gustavo Rodríguez a provoqué cela en moi : je me suis vu à cet âge. L’histoire est agréable à lire et sa structure irréprochable. La principale force du récit est d’aborder un sujet brûlant et moderne. Mais au-delà de cette « polémique », il n’y a pas de débat, pas de complexité, pas de contradiction. Tout semble suivre le plan du texte et à aucun moment je n’ai eu l’impression de lire les pensées des personnages, mais plutôt la vision de l’auteur sur une question socio-éthique, transmise par le biais d’un récit. La décision prise par l’auteur avec le personnage d’Eufrasia me semble être une façon de clore un débat qui commençait à être intéressant. Quelles sont les implications pour les personnes qui pratiquent l’euthanasie ? En voulant présenter des histoires humaines, je pense que Gustavo Rodríguez finit par donner une vision trop aseptisée. Je comprends que s’aligner en bloc sur les progrès comporte des dangers, car la modernité est en constante évolution. Ceux qui décident de ce qui est moderne sont ceux-là mêmes qui enterrent ce qui l’était auparavant. Et il faut être prudent, car comme le dit très justement Kundera : être absolument moderne, c’est être l’allié de ses fossoyeurs.
Axel Moller
Traduction L’autre Amérique
[1] Cent cuys (un cuy est un cochon d’Inde originaire d’Amérique du Sud), notre traduction.