El tiempo de las moscas de Claudia Piñeiro par Aída López Sosa

El tiempo de las moscas, Claudia Piñeiro, Alfaguara, 2022 [Inédit en français]

« La mort d’une mouche, c’est la mort […].

On voit mourir un chien, on voit mourir un cheval, et on dit quelque chose, par exemple,

pauvre bête… Mais qu’une mouche meure, on ne dit rien, on ne consigne pas, rien. »

Marguerite Duras, Écrire.

Dix-huit ans après son roman Tuya[1], l’écrivaine et dramaturge argentine Claudia Piñeiro nous raconte dans El tiempo de las moscas[2], le cours que prend la vie d’Inès lorsqu’elle sort de la prison où elle a été détenue pendant quinze ans pour avoir abattu Charo, la maîtresse de son mari. Dans ce nouveau volet, l’autrice nous présente une ex-détenue apparemment repentie, bien qu’elle soit encore marquée par les stigmates de son passé, et désireuse de s’intégrer dans la société par le biais d’une entreprise de désinsectisation. Pendant toutes ces années, la vie a changé et son apparence physique aussi. Sa fille unique est devenue une étrangère avec laquelle elle a perdu le contact.

Avec une effronterie marquée, la protagoniste dévoile ses pensées sous un nouveau nom de famille qui ne lui rappelle ni son célibat, ni son statut de femme mariée : Inès Experey (qui signifie l’ex de Pereira). Secrètement, devant le miroir, elle se nomme Tuya (À toi), pour imiter Charo qui signait ses lettres à Ernesto, son mari, avec du rouge à lèvres. La narratrice intercale des commentaires entre parenthèses, un procédé littéraire qui rend le lecteur complice de ses sombres pensées, comme lorsqu’elle dit : « si j’avais Charo devant moi, je pense, je parie, j’estime, que je tirerais à nouveau ! »[3].

Les mouches sont le leitmotiv qui traverse l’intrigue de différentes manières. Par exemple lorsqu’un jour l’héroïne se réveille avec des taches dans l’œil gauche qui lui font penser à une mouche, ce qui l’amène à dire au professeur de l’atelier de lecture de la prison qu’elle s’intéresse à l’insecte et à lui apporter des livres sur le sujet, y compris des livres de médecine légale. Inès est indignée lorsque, dans l’un des ouvrages, Marguerite Duras raconte comment elle s’est assise et a regardé une mouche mourir. Elle pense également que si elle avait eu la perception du temps des mouches, quatre fois plus lente que celle des humains, elle aurait peut-être raisonné avant d’appuyer sur la gâchette.

La vie d’Inès Experey bascule lorsqu’une cliente de ses services de fumigation, après lui avoir révélé qu’elle connaissait son passé, s’intéresse à l’acquisition d’un poison antiparasitaire pour assassiner son mari infidèle. Elle était productrice de télévision et a suivi son affaire de près. Elle a maintenant besoin de sa complicité pour mettre son plan à exécution et pouvoir accomplir sa vengeance. Inès hésite et ne veut pas s’impliquer, mais elle a besoin de l’argent qu’elle gagnera en utilisant la licence qui l’autorise à acquérir les liquides mortels. Elle se demande si le fait de les acheter pour le compte de quelqu’un d’autre est un crime ou un délit, avant de prendre sa décision.

Aída López Sosa

Traduction L’autre Amérique


[1] À toi, traduit de l’espagnol (Argentine) par Romain Magras, Actes Sud, 2015, 192 p.

[2] Le temps des mouches (traduction par nos soins).

[3] Notre traduction.