Maldeniña de Lorena Salazar Masso par Madeleine Buet

Maldeniña, Lorena Salazar Masso, Editorial Tránsito, 2023 [Inédit en français]

Dans une autre Amérique, sur la route menant à la grande ville, un village embrassé par les montagnes vivant du va-et-vient des camions et dans lequel il n’y a rien :    « pas de pain spécial, pas de bonbons au miel, pas de cascade »[1], pas même de cimetière. On s’y arrête par nécessité, pour aller aux toilettes. Dans l’hôtel tenu par son père pour héberger quelques voyageurs de passage, Isa n’a pas de chambre à elle ; elle dort avec Papa quand il rentre – de plus en plus tard, de moins en moins souvent.

Déjà, « la mère est morte et la fille est morte sur une face de la pièce de monnaie »[2]. Mais Isa est comme les oignons qu’elle a plantés avec la cuisinière, il n’y a presque pas à s’en occuper, comme les roses, qui préfèrent vivre abandonnées. Papa appelle parfois à l’hôtel, toujours sans prendre de ses nouvelles, alors ce sont les objets qui lui tiennent compagnie : en attendant son retour, Isa déplace les meubles de l’hôtel pour se sentir entourée. Elle a aussi de plus en plus mal au ventre, seule ou lorsqu’elle déambule dans le village à la recherche d’amis adultes et de petits travaux. C’est Hija Virginia qui pose un diagnostic : « Tu as le Maldefillette[3] ». La folle du village parle toujours en poèmes et en énigmes, comme une Pythie moderne.

Le jour où le trafic cesse sur la route avec l’arrêt du travail des camionneurs, le village se meurt mais une porte s’ouvre pour Isa : la grève lui révèle qu’une pause peut souligner l’existence, une absence rappeler une présence, un silence être voix.

Lorena Salazar Masso signe avec Maldeniña un nouveau roman d’une poésie délicate, une ballade de l’hôtel triste sublimant jusqu’à l’abandon cette « présence éternelle et floue »[4].

Madeleine Buet

De la même autrice :

Vers la mère de Lorena Salazar Masso par Martine Mestreit


[1] Citation traduite par nos soins

[2] Citation traduite par nos soins

[3] Maldeniña est un néologisme inventé par l’auteur qui peut être traduit par « Maldefillette », mal de petite fille.

[4] Citation traduite par nos soins