Kentukis de Samanta Schweblin par Sofía Linares Traiman

Kentukis, Samanta Schweblin, traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, Gallimard, 2021, 272 p. [Kentukis, Literatura Random House, 2020]

Dans cet ouvrage, l’autrice parvient à nous raconter une histoire à travers de multiples personnages. Il ne s’agit pas d’un roman traditionnel mais de plusieurs histoires qui pourraient être des récits distincts et qui finissent par se rejoindre dans une intrigue commune. Le protagoniste principal est le Kentuki, un appareil technologique servant à relier deux lieux ou plusieurs personnes inconnues entre elles. Les autres personnages du roman se divisent en deux catégories : ceux qui manipulent l’appareil à distance par le biais d’une tablette ou d’un ordinateur ; ceux qui le possèdent chez eux, permettant aux caméras de l’étrange créature d’espionner le moindre recoin de leur vie. Et comme si l’horreur n’était déjà pas à son comble n’importe qui est en mesure d’acheter un Kentuki, de le brancher en attendant qu’il se « réveille ». Il y a donc toujours un observateur et un observé.

Voir ou être vu, voilà un sujet qui ne saurait nous lasser. Et Schweblin le traite avec brio en mettant en relation des personnages aux caractéristiques dissemblables et en développant des histoires toutes plus folles les unes que les autres. S’ajoute à ce climat de paranoïa le danger de ne pas savoir avec qui l’on interagit. L’anonymat et la vie privée n’existent plus. L’exposition des mineurs, de l’intimité et de tout ce à quoi nous pouvons penser est déjà une réalité.

Ce roman se lit rapidement car les histoires sont racontées à un rythme soutenu, dans l’esprit des nouvelles. C’est un roman original qui aborde la place de la technologie dans nos vies, sujet on ne peut plus actuel et qui le sera encore plus à l’avenir. On peut d’ailleurs se demander si nous en arriverons un jour à permettre à un parfait inconnu d’entrer consciemment dans notre vie, ou, si cela n’existe pas déjà par une méthode clandestine pour entrer en contact avec quelqu’un, sans possibilité de savoir qui il est. Les réseaux sociaux sont aujourd’hui la plateforme d’exposition quotidienne la plus conséquente mais nous pouvons encore contrôler, dans une certaine mesure, ce que nous montrons et qui nous voit.

Au cœur de Kentukis se niche cette idée sombre et malsaine, et en même temps tellement réalisable dans un futur proche, de la perte de l’intimité. La seule chose que nous puissions espérer, c’est que nous ne perdions pas le contrôle en humanisant à outrance la technologie et que nous restions des personnes autonomes et non des automates.

Sofía Linares Traiman

Traduction L’autre Amérique