La parfaite autre chose de Fernanda García Lao par Philippe Bouverot

La parfaite autre chose, Fernanda García Lao, traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, La dernière goutte, 2012, 125 p. [La perfecta otra cosa, El Cuenco de Plata, Buenos Aires, 2007]

Quelle est cette parfaite autre chose, jamais clairement décrite ou définie, après laquelle semblent courir les sept membres d’une lignée peu conventionnelle ?

Sept personnages, sept voix, sept caractères, sept chapitres.

Fernanda García Lao, dont La parfaite autre chose n’est que le deuxième roman, fait preuve d’une grande maîtrise de la narration et du tissage de l’intrigue. Elle prend soin, dès le début du livre, de mettre en garde ses lecteurs : « Il s’agit d’une narration polyphonique où chaque personnage altère, complète ou contredit le reste du récit. »

García Lao réussit la prouesse de faire en sorte que l’ordre dans la lecture des chapitres importe peu. En effet, les voix portées des personnages peuvent être lues et entendues de manière aléatoire.

Chaque partie pourrait être envisagée séparément, chacun des membres de cette famille atypique nous donnant à connaître sa personnalité, ses aspirations, ses tiraillements, ses justifications, ses turpitudes.

Le livre de Fernanda García Lao peut s’envisager comme une sorte de kaléidoscope, une image qui s’éclaircit et se précise chapitre après chapitre. Les points de vue s’entrechoquent mais, au final, se complètent parfaitement.

Et ce n’est qu’après avoir positionné toutes les pièces de ce puzzle foutraque que se compose un panorama d’ensemble permettant de comprendre l’intrigue et les enchaînements dans la survenue des évènements relatés. 

Que découvre-t-on alors ? Une fresque tragi-comique franchement hilarante, mais plus profonde et dérangeante qu’il n’y paraît à première vue. À la publication du roman, certains critiques identifièrent, de manière peut-être un peu trop évidente, l’influence ou la référence au cinéma de Luis Buñuel. En effet, chacun des personnages est, peu ou prou, tiraillé par les tentations, la frustration et l’impossibilité de réaliser parfaitement toutes ses aspirations profondes. Et c’est vrai que la sexualité, les notions de luxure, de péché ou de transgression sont omniprésentes. 

Le rythme est soutenu et les formulations de Fernanda García Lao font mouche. C’est particulièrement drôle et sans filtre.

Dès le départ, elle nous donne des clés sur les caractères de chacun et son positionnement au sein de l’arbre généalogique familial. Original et utile pour le lecteur pris dans le tourbillon de cette lignée qui n’est pas de tout repos.

La quête de cette « parfaite autre chose » justifierait que l’on use de tous les moyens, que l’on épuise tous ses désirs afin de se sentir à sa place dans sa propre vie, ne serait-ce que pour s’en approcher.

Le livre peut aussi, bien évidemment, s’envisager comme une interrogation autour de l’identité, de l’accomplissement personnel et de ses propres raisons de vivre ou d’espérer.

Sans doute le message de Fernanda García Lao est-il ainsi plus profond qu’il ne semble a priori.

Philippe Bouverot