L’invincible été de Liliana de Cristina Rivera Garza par Beatriz Rivas

L’invincible été de Liliana, Cristina Rivera Garza, traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron, Éditions Globe, 2023, 400 p. [El invencible verano de Liliana, Cristina Rivera Garza, Random House, 2021]

Il est toujours étrange de mettre les pieds

dans l’espace des morts.

C. Rivera Garza

Liliana Rivera Garza a été assassinée par son petit ami au cours de l’été 1990. Il a fallu attendre trente ans pour que sa sœur Cristina, écrivaine mexicaine de renom, trouve la force de raconter son histoire. Ce roman, qui relève à la fois de la fiction, de la chronique journalistique et d’une enquête méticuleuse, est un récit brut et sincère de la vie d’une étudiante en architecture d’une vingtaine d’années et des événements qui ont conduit à sa mort. Une jeune femme libre, joyeuse, séduisante, attirante, entourée d’amis, lumineuse et audacieuse. Mais aussi une femme qui ne pouvait s’éloigner d’un homme jaloux, manipulateur et manifestement toxique. « Pourquoi Liliana revenait-elle encore et encore dans une relation qui, du moins de l’extérieur, ne lui offrait qu’instabilité et souffrance ? »

Pendant trois décennies, la narratrice a vécu avec l’absence de sa sœur assassinée, avec le vide, la culpabilité, l’impuissance et des dizaines de questions sans réponse. Lorsqu’elle récupère les affaires de Liliana dans la maison de son père, ses cartons remplis de papiers (lettres, journaux intimes, cahiers d’école, poèmes), elle décide d’enquêter sur ce qui s’est passé pour tenter d’obtenir justice.

Le fil conducteur du roman est précisément cette recherche : qui était sa sœur dans la vie et quels événements ont conduit à son assassinat. « Que fait-on des objets des morts ? », demande l’autrice. Les boîtes « sont restées là pendant trente ans, à portée de vue, mais pas à portée de main ». Cristina elle-même explique, dans ses pages : « Je voulais me rappeler. Pour faire la paix avec la peur, j’ai fouillé dans les notes de l’époque et j’ai commencé à poser des questions ».

L’intrigue se déroule dans le présent de la narratrice, lorsqu’elle se rend au bureau du procureur général de Mexico pour demander les dossiers relatifs à l’assassinat de sa sœur. Le désir, l’élément déclencheur du roman, est que « justice soit faite », même si, en réalité, il y a quelque chose de plus profond : le désir de l’autrice de connaître sa sœur disparue, de retrouver ses rêves, ses projets, ses peurs. Pour ce faire, elle fait de son livre une sorte de texte choral basé sur des témoignages impressionnants et affectueux de ceux qui l’ont connue : amis, professeurs, parents, petits amis et camarades de classe. Son destin était-il irrémédiable ?

L’invincible été de Liliana est un témoignage douloureux mais nécessaire. C’est aussi un bel et puissant hommage à Liliana, rendu par une narration directe et élégante. Dans les chapitres les plus crus, des phrases très courtes accrochent le lecteur ; impossible de ne pas continuer à lire même si on ne veut pas savoir que l’horreur et l’injustice existent et qu’au Mexique, les féminicides sont encore notre pain quotidien.

Malgré la dureté de l’histoire, les dernières pages sont réconciliatrices, voire tendres. C’est la fin que mérite un bon livre : « Au lieu de nager, j’ai commencé à écrire ce livre. Si la blessure se referme, je nagerai à nouveau. Je veux la retrouver dans l’eau. Je veux nager, comme je l’ai toujours fait, à côté de ma sœur ».

Beatriz Rivas

Traduction L’autre Amérique