Peces mudos, Rosario Lázaro Igoa, Editorial Criatura, Montevideo, 2016, 120 p. [Inédit en français]
Voici une douzaine de nouvelles crues et même cruelles, dans lesquelles l’être humain, souvent une femme, se trouve confronté à une nature qui n’a rien d’édénique, et dont il doit comprendre qu’il n’est qu’un élément, un animal parmi d’autres, soumis aux mêmes lois implacables. Glamour et grands sentiments sont mis à l’écart.
L’eau est l’élément le plus présent pour évoquer cette nature, l’eau sous forme de pluie, de rivière, de marais ou d’océan, avec tous ses habitants, et tous ceux qui dépendent d’elle. Dès la première ligne, « il pleut depuis des heures », la deuxième nouvelle évoque la vie dans un marais, puis c’est une histoire de plongeurs dans l’océan, suivie de celle de l’enterrement d’un noyé et ainsi de suite dans presque tous les textes.
L’enfance est un autre fil rouge de cet ensemble de textes, une enfance sans pitié, ni entre amis ni entre sœurs, sans pitié non plus pour les animaux comme les gros poissons massacrés au couteau dans la nouvelle qui donne son titre à l’ensemble. La sexualité aussi est là, de ses élans pré-adolescents aux premières expériences sexuelles un été en bord de mer, aux ruptures ou à la prostitution dans les conditions les plus sordides.
Les animaux enfin sont omniprésents : qu’ils soient des chiens passant fugacement dans la vie d’une femme ou qu’ils assistent passivement aux rapports d’une prostituée et de son client, qu’ils soient un roquet subissant une castration par un vétérinaire sous les yeux de son maître mal à l’aise, qu’ils habitent un marais ou une rivière, qu’ils soient des galleretas, ces oiseaux marins chassés de leur habitat naturel qui envahissent une paisible station balnéaire, qu’ils soient des méduses sur une plage ou des hannetons « rhinocéros » proliférant en été, ils viennent chaque fois remettre l’humain à sa place.
Antoine Barral