Une avocate parmi les criminels, l’œuvre de María Elvira Bermúdez par Iván Farías

Imaginez un pays machiste où la justice est rendue par des hommes et uniquement par des hommes, et où l’un des plus importants représentants de la police est une femme. Ce pays, c’est le Mexique et cette femme, c’est María Elvira Bermúdez. Malgré l’importance de son œuvre, qui comprend des nouvelles, un roman, des essais et même de la théorie littéraire, elle est presque un fantôme qui n’a commencé à être revalorisé que récemment dans notre pays.

Elle était avocate de profession, ce qui lui donnait une connaissance de première main des tenants et des aboutissants de la justice. Elle militait aussi pour les droits des femmes, puisqu’elle s’est notamment battue pour le droit de vote des femmes, qui n’a été obtenu au Mexique qu’en 1955. C’était une femme singulière dans un pays où de telles prises de position n’étaient pas très bien vues.

Bermúdez faisait partie en outre d’un cercle littéraire appelé le Club de la Calle Morgue, fondé par Antonio Helú, écrivain et éditeur. Il était fréquenté par des gens comme Rodolfo Usigli, Juan Bustillo Oro et Rafael Bernal, qui se réunissaient pour parler de romans policiers, ce qui était rare, car la littérature policière était peu prisée par le milieu littéraire mexicain, très précieux et monolithique, qui la considérait comme une écriture d’évasion ou comme un genre « trop anglo-saxon ». Quoi que cela veuille dire.

María Elvira, en plus d’être l’une des rares à avoir théorisé le genre policier, créa également la première femme détective latino-américaine, María Elena Morán, qui fit sa première apparition dans la revue Selecciones Policiacas y de Misterio, financée par Helú, avec l’histoire « Precisamente ante sus ojos » (« Précisément devant ses yeux »), en 1951.

L’écrivaine créa un autre détective amateur, journaliste professionnel, Armando H. Zozaya. La différence avec Morán est que celle-ci ne compte que sur son intelligence et sa capacité de déduction. Elle vit dans l’ombre de son mari, un membre du Congrès, qui la considère presque comme un monstre.

Les énigmes de Bermúdez correspondent tout à fait au roman policier classique, dans lequel des indices sont laissés pour que le détective amateur de service puisse finalement rassembler tous les détails et prouver la culpabilité du criminel. Toutefois, l’autrice en profite pour montrer comment les femmes sont perçues par leurs homologues masculins, en glissant quelques réflexions pas si innocentes que cela. Son unique roman, Diferentes razones tiene la muerte, est à l’époque le seul de ses livres que l’on peut se procurer assez facilement, car il a été réimprimé par l’UNAM (Université nationale autonome du Mexique), et il y a d’innombrables exemplaires de livres d’occasion dans les énormes tirages de « Lecturas mexicanas[1]» (Lectures mexicaines).

Une réédition de ses récits mettant en scène la détective Maria Elena Morán s’impose sans aucun doute, afin que davantage de personnes connaissent l’une des pionnières du genre en Amérique latine.

Iván Farías

Traduction L’autre Amérique


[1] La collection Lecturas Mexicanas a debuté en 1983, dans le cadre d’une coédition entre le Fondo de Cultura Económica et le Ministère de l’éducation publique du Mexique.  Son objectif était de diffuser des œuvres importantes de la littérature, de l’histoire, de la science, des idées et de l’art mexicains dans de grandes éditions à des prix réduits.