L’amant de Janis Joplin par Miguel Tapia

Version en espagnol, texte intégral

Élmer Mendoza, L’Amant de Janis Joplin, éditions Métailié, 2020 [El amante de Janis Joplin, Tusquets, 2001]

© Miguel Tapia DR

Élmer Mendoza est né à Culiacán, la capitale du Sinaloa[1]. Il a passé la plus grande partie de sa vie dans cette ville et c’est là qu’il a forgé son univers fictionnel. (…)

L’amant de Janis Joplin, second roman de l’auteur dont la traduction a été publiée récemment aux éditions Métailié est avant tout un roman noir du Sinaloa. Roman noir par le vertigineux réseau d’intrigues et de crimes qu’il met en scène et par la description minutieuse de la chaîne de causes et de conséquences qui les entoure. Roman noir aussi par la fascinante immersion dans l’ambiance sociale et politique, le milieu corrompu et vicié dans lesquels les personnages évoluent et d’où naissent les péripéties. Roman du Sinaloa car tout, le décor, le contexte, l’idiosyncrasie, la langue et l’humour, le temps et le rythme, l’auteur et sa mémoire, vient radicalement du Sinaloa. Y compris Janis Joplin. (…)

L’amant de Janis Joplin se nomme David Valenzuela. Peu armé pour y trouver sa place, il naît dans un petit village de la Sierra Madre occidentale, terre sauvage peuplée de belles femmes et d’hommes querelleurs. Simple d’esprit et assez disgracieux, il fait l’objet de railleries constantes et de mauvais traitements qui font de lui l’abruti du village. Il a pourtant une qualité qui lui sera d’une grande utilité : ce redoutable lanceur de pierres est capable de tuer un cerf en pleine course.

Pendant une fête dans le village, Amalia, la magnifique fiancée d’un membre de la mafia locale, invite David à danser. (…) Quand son fiancé, Rogelio, s’en aperçoit, il devient furieux et dégaine son arme. Au sol où il s’apprête à mourir humilié, David trouve sous sa main l’objet providentiel de sa dernière chance : une pierre. Sans réfléchir, il la lance sur Rogelio qui s’effondre, le crâne fracassé. Le destin de David est scellé : le clan des Castro le poursuivra sans répit pour assouvir sa vengeance. (…) À partir de ce moment, sa famille et ses amis vont tout faire pour l’éloigner de la condamnation à mort qui plane sur lui. Il se réfugie à Culiacán où son oncle lui fait intégrer l’équipe amateur de baseball dont il est l’entraîneur. Il compte profiter du prodigieux lancer de son neveu pour faire décoller l’équipe. C’est ainsi que David participe à un tournoi à Los Angeles, où malgré son manque d’expérience et d’intérêt pour le jeu – comme pour à peu près tout ce qui l’entoure – il attire l’attention d’un chercheur de talents des Dodgers. Mais ce qui marque David durant ce voyage, ce n’est pas la possibilité d’accéder à la renommée ou à l’argent, ni les rues étincelantes de progrès du voisin du nord mais une rencontre furtive et fortuite, dans la pénombre d’une ruelle, avec une femme mystérieuse qui l’attire dans sa chambre pour lui faire vivre huit minutes de sexe sans complexe. David ne relève pas le nom de cette femme quand elle se présente au moment de le quitter. C’est son ami el Cholo qui l’informera plusieurs heures plus tard de l’identité de son amante secrète : Janis Joplin.        

David revient dans le Sinaloa sans contrat mais son esprit est encore à Los Angeles. Il n’aura de cesse de vouloir y retourner pour retrouver Janis. (…)

La terre et l’idiosyncrasie du Sinaloa nourrissent intimement la prose et le projet narratif d’Élmer Mendoza. C’est surtout la langue qui rend possible la cohabitation dans le même espace littéraire de personnages si différents. (…) La présence de cette identité linguistique à chaque détour de phrase nous situe incontestablement au cœur même de cette région. Sous la plume d’Élmer Mendoza, le Sinaloa s’incarne dans notre patrimoine littéraire de manière inédite. (…)

Des montagnes de la Sierra Madre à la côte pacifique en passant par la vallée qui les relie ; de la bravoure ancestrale de ses habitants à la dynamique sanglante du trafic de drogue qui dévaste la région ; de l’infatigable obstination individuelle aux illusions collectives de la fin des années 60 ; de la foi dans l’effort à l’impuissance face à la corruption institutionnalisée, la plume d’Élmer Mendoza nous offre un portrait sans concession de la réalité du nord du Mexique. Construite à partir d’un regard régional, en utilisant ses mots, sa respiration et son imaginaire tout en désactivant littérairement ses filtres et ses omissions collectives, L’amant de Janis Joplin, est un pari littéraire qui met en valeur le local dans la construction de l’universel.

Avec ce roman, et grâce à sa magnifique traduction en français, Élmer Mendoza réussit à inscrire définitivement le Sinaloa sur la carte mondiale du roman noir contemporain.

Traduction de Julie Werth


[1] État du nord du Mexique. (NdT.)