Aquellas horas que nos robaron par Élmer Mendoza

Version en espagnol

Mónica Castellanos, Aquellas horas que nos robaron: el desafío de Gilberto Bosques, Grijalbo, 2018 [Inédit en français]

« Un roman plein d’amour »

© Élmer Mendoza DR

Je veux parler de Aquellas horas que nos robaron (« ces heures qu’ils nous ont volées »[1]), de Mónica Castellanos, qui raconte de façon bouleversante comment Gilberto Bosques, consul général puis ambassadeur du Mexique en France durant la Seconde Guerre mondiale, a réussi à sauver quinze mille réfugiés en leur permettant de partir au Mexique et comment il a fourni à d’autres des papiers qui leur ont permis de survivre dans l’Hexagone. Pendant cette terrible période, les républicains espagnols comme les Juifs étaient menacés de mort et il fallait les protéger. L’autrice entremêle quatre histoires : celle de Mina Giralt, Barcelonaise de onze ans qui perd ses parents lors d’un bombardement nazi et se retrouve seule ; celle de Pierre Radványi, enfant juif dont le père est déporté en camp de concentration, qui vit constamment sur ses gardes avec sa mère et sa sœur ; celle que Laura Bosques raconte au sujet de sa famille qui a subi la persécution des nazis et les bombardements nocturnes pleins de bruit et de flammes ; et bien sûr, celle du diplomate qui n’a plus eu une minute de répit après le début du conflit.

Il s’agit bien entendu d’une biographie romancée ; cependant Mónica Castellanos ne se contente pas d’écrire la vie de Bosques, elle crée une œuvre d’imagination dans laquelle les personnages fictifs et les personnes réelles se mêlent parfaitement. Son style est vigoureux et dynamique. Ses chapitres brefs peignent de puissantes atmosphères qui maintiennent une tension et un ton qui entraînent le lecteur. La narratrice conduit son récit avec tant de subtilité qu’elle parvient à toucher le lecteur. Bosques naît dans un petit village en 1892. A peine vient-il au monde qu’une poutre se détache du toit et manque de le tuer. Tel est le destin de cet homme qui, plus tard, ne reculera pas, même quand il devra rendre des comptes à la Gestapo dans les pires conditions. Il interrompt ses études pour participer à la révolution mexicaine en 1910, où il affirmera son caractère et ses convictions. Il apprend à prendre des décisions dans des situations difficiles. Après la lutte, il se marie et devient le père de deux filles et d’un fils. Sa famille est toujours à ses côtés pendant ses missions en France et sa réclusion dans le centre de l’Allemagne en pleine guerre.

© Mónica Castellanos DR

En donnant une vision équilibrée des bons et des mauvais moments de cette époque, Mónica Castellanos tient un discours émouvant dans lequel chaque chapitre permet de percevoir la terrible situation que vit Mina, alors qu’elle fuit Barcelone et qu’elle doit apprendre rapidement à être orpheline. Sur son chemin, elle rencontre Francesc, jeune homme de quinze ans, qui devient son protecteur, jusqu’à ce qu’il vive sa propre descente aux enfers. Chaque profil est si bien dessiné que les personnages sont visibles. Nous voyons ces jeunes gens s’enfuir, maigrir, être aimés par un sculpteur, être arrêtés, et un jour arriver à Marseille, où le consulat mexicain, ouvert en juillet 1940, protège les réfugiés. Le cas de la famille Radványi nous fait ressentir de l’intérieur la persécution des Juifs et le caractère absurde de ce châtiment injuste et infâme, qui même à cette époque dépasse l’entendement. La romancière rend compte du parcours de Pierre, de son assimilation à sa disgrâce extrêmement douloureuse, leçon d’autant plus terrible qu’il est trop jeune pour en comprendre le motif antisémite. Un jour, les Radványi aussi arrivent à Marseille, où se trouvent les portes du paradis gardées par Gilberto Bosques.

Aquellas horas que nos robaron est aussi un roman exaltant. La tension est palpable à chaque page et on peut s’identifier aux personnages dont la souffrance n’a d’égale que l’amour qu’ils portent à la vie. Il en va de même pour Gilberto Bosques, qui a sacrifié à son engagement une partie de son existence, la sécurité de sa famille et toutes les ressources financières qu’il a pu trouver pour apporter un peu de lumière à des milliers de personnes qui avaient perdu leur terre. Les guerres sont dévastatrices, elles apportent leur lot de morts mais provoquent aussi un état de vulnérabilité, d’abandon, de misère, d’angoisse et d’humiliation que l’ambassadeur a très bien compris. Quand on aime réellement ses semblables quand ils sont dans le malheur, le moins que l’on puisse faire, c’est de les défendre, de les alimenter et de leur donner un abri pour qu’ils soient sains et saufs. Gilberto Bosques est un grand homme et ce roman lui donne toute sa place dans l’histoire grâce au récit de sa vie hors du commun.

Gilberto Bosques est Mexicain mais le comportement qu’il a adopté quand il a sauvé des milliers de personnes fait de lui un citoyen du monde. Tous les pays sont sa patrie. Un chapitre raconté par Laura le confirme. Il m’a fait pleurer. Je serais curieux de savoir ce que vous ressentirez quand vous lirez ce passage de la vie d’un homme qui a donné de lui-même chaque fois que cela fut nécessaire. Castellanos sait réellement toucher au plus profond du cœur, à la place exacte où l’amour le plus doux révèle le privilège de se savoir les contemporains de ces personnes capables d’aider les autres.

Traduction de Julie Werth et Jonathan Barkate


[1] Titre proposé par les traducteurs de l’article. (NdT.)