Une de trois critiques primées lors du concours des Alliances Françaises du Pérou.
La palabra del mudo est l’un des livres les plus extraordinaires écrits par un Péruvien. Une série d’histoires dont vous vous rappellerez toute votre vie. Des histoires qui débordent de tristesse et d’humour. Réalistes. Bouleversantes. Fantastiques.
Julio Ramón Ribeyro, l’auteur de ces histoires, a expliqué dans une lettre à son éditeur l’origine du titre (un bel oxymore). Pourquoi La palabra del mudo (La parole du muet) ? Parce que les histoires contenues dans ces pages montrent des fragments de vie de ceux qui n’ont pas la parole, des marginaux, des invisibles, des oubliés.
Il y a quelque chose de magique à lire les histoires de Ribeyro. Je ne parle pas seulement des histoires où il se passe des choses défiant la réalité, mais de la magie de quelqu’un qui vous caresse avec des mots parce qu’il les a disposés de la bonne façon. Il est vrai que la prose de Ribeyro a été critiquée à l’époque. Quelqu’un a dit de lui : « C’est le meilleur écrivain du XIXe siècle que le Pérou ait aujourd’hui ». Une plaisanterie qui s’écrase devant la solidité d’une œuvre qui a survécu au passage du temps. Mais, au bout du compte, c’est une blague qui révèle une vérité.
Les histoires de La palabra del mudo sont écrites dans un style élégant, avec des formules classiques qui rappellent Balzac, héros littéraire de Ribeyro. Ce détail qui semble aujourd’hui sans importance, a fini par être l’une des raisons qui le tenaient éloigné du phénomène littéraire le plus important de l’époque : le boom latino-américain.
Mais cela est sans importance. Il est impossible de mépriser un écrivain qui n’a pas de lecteurs mais qui a des fans et qui dans sa vie, a été acclamé depuis des balcons, comme une véritable rock star. La palabra del mudo a transcendé le temps de manière intacte. Aujourd’hui encore, les histoires contenues dans ces pages nous regardent comme des miroirs. Les histoires écrites par Ribeyro pourraient s’être déroulées dans les années cinquante, soixante, ou au moment même où nous lisons ces lignes.
Au fil des pages du livre se déplacent des professeurs obnubilés, des enfants aux rêves brisés, des voyageurs mystérieux, des hommes qui préfèrent passer inaperçus. Des personnages à la dérive, au bord de l’abîme.
Ce qui est peut-être le plus terrible dans ce livre, c’est la proximité que l’on peut ressentir avec les personnages. Isolés. Condamnés à l’échec. Tristes. Piégés dans une ville qui ne cesse de grandir et dont les habitants se déplacent de plus en plus vite. Après avoir quitté des yeux les pages de La palabra del mudo, on peut se promener dans la ville, voir les visages qui passent et on peut se dire : cette personne pourrait être l’un des personnages du livre !
Fernando Gabriel Taco Mendoza
Alliance Française d’Arequipa