Ayacucho d’Alfredo Pita par Luis Samaniego

Alfredo Pita, Ayacucho, traduit de l’espagnol (Pérou) par René Solis, Métailié, 2018 [El rincón de los muertos, Editorial Textual, 2014]

© Éditions Métailié DR

L’histoire se déroule dans les années quatre-vingt. Vicente Blanco est un journaliste espagnol aguerri. Il a parcouru des zones de guerre comme le Guatemala ou la Cisjordanie ou des lieux comme Berlin, où l’ambiance est tendue.

De passage à Paris, il fait connaissance avec un confrère péruvien, Rafael Pereyra, qui lui parle d’Ayacucho lors d’une soirée mondaine. Blanco décide de partir pour le Pérou pour enquêter sur cette guerre en cours. Une guerre silencieuse, sans affrontement visible, entre l’armée et le Sentier lumineux[1], mais qui, à la fin, laissera un bilan de soixante-quinze mille morts, principalement des paysans sans lien avec les camps belligérants.

Une fois à Ayacucho, Blanco fera la connaissance de deux autres journalistes locaux qui l’aideront à s’y retrouver dans la complexité de ce conflit. Le lecteur découvre grâce au travail du journaliste espagnol les diverses raisons de cette guerre. Sauf que Blanco ressent ces événements de manière très personnelle. En effet, il est Espagnol comme les conquistadores qui ont envahi l’Empire inca à la recherche d’or. Par ailleurs, la violence politique à Ayacucho lui rappelle constamment la guerre civile espagnole et le franquisme.

Les trois journalistes mettront leur vie en danger pour montrer ce qui se passe dans cette région éloignée de Lima et de l’Europe. En espérant ainsi que les atrocités s’arrêteront ou, au moins, que tous ces morts seront reconnus comme tels et pas comme des disparus…

La lecture de ce livre nous dévoile un écrivain doué et injustement méconnu. Tout en nous racontant l’intrigue, Alfredo Pita, qui s’inspire de sa propre expérience de journaliste à Ayacucho et qui rend hommage à ses confrères assassinés, présente quelques moments clés de l’Histoire du Pérou. L’auteur annonce même la dictature à venir dans les années quatre-vingt-dix.

Au fil du récit il trouve le moment juste pour citer les noms de grands écrivains péruviens tels que José María Arguedas, Manuel Scorza, Julio Ramón Ribeyro, Ciro Alegría et César Vallejo.

Quand le livre est fini et malgré les conditions de vie si difficiles décrites à Ayacucho  — qui signifie « le recoin des morts » en quechua, el rincón de los muertos —, nous souhaitons rester plus longtemps avec ces personnages si attachants, tant pour leur courage dans des heures sombres que pour leur humanité.

Beaucoup d’adjectifs conviendraient pour désigner le sujet, le style ou l’origine du roman. Mais le plus simple est de considérer que c’est un grand roman.

Luis Samaniego


[1] Le Sentier lumineux est un groupe terroriste qui a participé à la guerre civile péruvienne dans les années 1980 et 1990, et qui a fait plus de 70 000 morts. Il revendique une affiliation avec le Parti communiste péruvien.