La distance qui nous sépare de Renato Cisneros par Julie Werth

Renato Cisneros, La distance qui nous sépare, traduit de l’espagnol (Pérou) par Serge Mestre, Christian Bourgois éditeur, 2017, 320 pages, 21 € [La distancia que nos separa, Editorial Planeta, 2015]

© Christian Bourgois éditeur DR

Pour son troisième roman, finaliste du prix Médicis étranger 2017, Renato Cisneros prend soin de préciser avant même le début de l’ouvrage qu’il s’agit d’« un roman d’autofiction ». Il ajoute dès les premières pages : « Ce roman parle de mon père […]. C’est un roman à son propos ou à propos de quelqu’un de très ressemblant, écrit par moi-même ou par quelqu’un qui me ressemble beaucoup. » S’il prend ces précautions c’est parce que le sujet de son livre n’est autre que Luis Federico Cisneros Vizquerra (1926-1995), surnommé El Gaucho, ministre, général de l’armée du Pérou, pilier de la junte au moment de la lutte contre la guérilla communiste du Sentier lumineux[1] et ami des dictateurs Pinochet et Videla, « le ministre le plus redoutable de cette époque qui était déjà elle-même redoutable ».

Ce roman né d’une psychanalyse, sans exonérer le père de son action politique, brosse un portrait en creux, plus personnel et plus intime, de cet homme controversé au sein de sa propre famille. Il s’agit également pour l’auteur d’une entreprise d’émancipation par rapport à cette figure autoritaire et tutélaire et d’une affirmation de son statut d’écrivain.

Renato Cisneros a perdu son père alors qu’il n’avait que dix-neuf ans. Son roman est l’histoire d’une nouvelle rencontre et son élaboration une tentative de combler les vides laissés par l’absence, cette distance dont il devient vital pour l’auteur de comprendre les jalons manquants pour mieux se comprendre lui-même : « C’est au sein de ces deux titanesques questions que se situe l’énigme qui m’obsède : qui était-il lui-même avant que je sois là. Qui suis-je moi-même après sa mort. Voilà mon objectif premier : parvenir à réunir ces deux hommes intermédiaires. »

Commence alors une entreprise cathartique qui s’apparente à une archéologie familiale qui remonte sur trois générations, ce qui permet d’éclairer les failles et les secrets du père et de ses aïeux : son amour de jeunesse jamais oublié, ses velléités littéraires, la reproduction atavique d’enfants naturels. L’auteur se fonde sur des entretiens avec de nombreux membres de la famille et des proches, mais aussi sur des recherches dans les archives familiales et dans les archives générales permanentes de l’armée. Le lecteur est pris dans cette investigation qui dévoile des aspects complexes et contradictoires de l’homme et qui permet d’entrevoir, malgré les incompréhensions nombreuses qui émaillent la relation père-fils, des similitudes enfouies.

Julie Werth

Voir aussi L’autre Amérique lit … Renatos Cisneros – lecture d’extraits choisis


[1] Le Sentier lumineux est un groupe terroriste qui a participé à la guerre civile péruvienne dans les années 1980 et 1990, et qui a fait plus de 70 000 morts. Il revendique une affiliation avec le Parti communiste péruvien.