La Peine capitale de Santiago Roncagliolo par Jonathan Barkate

Santiago Roncagliolo, La Peine capitale, traduit de l’espagnol (Pérou) par François Gaudry, Métailié, 2016, 379 pages, 20 € [La pena máxima, Alfaguara, 2014]

© Éditions Métailié DR

Huit ans après Avril rouge, Santiago Roncagliolo confie une nouvelle enquête à Félix Chacaltana Saldívar. L’antihéros n’est pas encore substitut du procureur d’Ayacucho, il n’est qu’assistant-archiviste au Palais de justice de Lima. Méticuleux et honnête, il respecte si scrupuleusement les conventions sociales et les règlements administratifs qu’il désarçonne souvent sa fiancée et son chef de service. Alors que le Pérou voit sa génération de footballeurs la plus brillante participer au Mondial, le jeune homme, embarrassé par la présence d’un document incomplet qu’il ne peut classer, est confronté à la disparition soudaine de son seul ami. Pour savoir ce qu’il est advenu de Joaquín et pour pouvoir donner la suite qui convient à l’irrégularité administrative qui lui a été signalée de façon énigmatique, Chacaltana plonge dans une sordide affaire politique qui le dépasse.

Parfaitement construite, l’intrigue est rythmée par la retransmission des matches de football que tous les Péruviens suivent avec passion. Le Mondial n’est pourtant pas une simple toile de fond car il montre que le football apparaît à la fois comme l’opium du peuple – un chauffeur ralenti par une manifestation d’opposants s’écrie : « J’en ai rien à foutre de la démocratie, putain ! […] Je veux voir le Mondial ! » – et comme la métaphore idéale pour dénoncer la politique répressive des États autoritaires car les matches ont « tout d’une bataille, avec des attaques et des tirs ». Le choix de la coupe du monde 1978 n’est pas anodin : organisée en Argentine et remportée par le pays hôte, non sans que des soupçons de corruption pèsent encore aujourd’hui sur le match décisif qui opposa l’Argentine au Pérou, elle conforte le régime de Videla au moment même où ses adversaires, comme ceux de toutes les dictatures sud-américaines, sont enlevés, torturés et assassinés.

Chacaltana, qui désapprouve la disparition des dissidents mais qui espère profiter de son enquête pour gravir les échelons de l’administration, fait donc son éducation sentimentale et politique sur fond d’opération Condor. Son goût de l’ordre, son patriotisme et sa naïveté sont alors mis à rude épreuve. Plusieurs fois le lecteur, comme l’amiral qui confie une mission à l’ambitieux, « n’arrive pas à décider [si l’assistant-archiviste est] très malin ou très bête ». L’innocence de l’enquêteur produit quelques situations cocasses qui permettent à l’auteur d’instiller une dose d’humour dans une intrigue où aucun personnage n’est vraiment ce qu’il paraît être et où les événements se dédoublent jusqu’à apparaître en miroir, puisque la traque des communistes par les juntes péruvienne et argentine fait ressurgir les fantômes de la guerre d’Espagne. Ce très bon polar politique propose une réflexion sur le passé et pose des questions graves qui sont toujours d’actualité : faut-il déterrer le passé au nom de la vérité et de la justice ou vaut-il mieux l’oublier ? comment affronter l’histoire quand elle se répète ? quelle mémoire conserver des événements violents et tragiques dans lesquels des hommes ont été impliqués au nom de leurs idéaux ?

Jonathan Barkate